samedi 17 mars 2018

Dreamland: A Self-Help Manual for a Frightened Nation - Andri Snær Magnason


Dreamland: A Self-Help Manual for a Frightened Nation - Andri Snær Magnason

Un livre ramené de mon dernier voyage en Islande, il y a déjà pas mal d'années. En couverture, la fameuse Route 1, la route qui fait le tour de cette île de 300 000 habitants. L'Islande, un petit pays où sont possibles des choses surprenantes à nos yeux de continentaux. Par exemple, l'actuel président est un universitaire, un historien, et il a même traduit des romans de Stephen King en islandais ! Et le personnage arrivé en troisième place des élections de 2016 est Andri Snær Magnason, l'auteur de ce livre.

Andri Snær Magnason s'attaque ici aux politiciens et industriels qui veulent transformer l'île en l'industrialisant, en multipliant les barrages électriques, qui noient de bonnes parties de la nature islandaise, et en développant l'industrie de l'aluminium, une industrie hautement polluante. La première partie du livre est très théorique, traitant de grandes idées générale, et la seconde devient plus pratique, se concentrant sur les faits touchant très particulièrement à la politique islandaise. Il semble que la quête de la croissance économique à travers l'industrie lourde soit devenue une sorte de religion d'état, que l'auteur s’emploie à déconstruire. Commençons par la seconde partie. L'auteur résume ainsi l'industrie de l'aluminium : Seen in its ugliest light, the aluminium industry comes out like this: an ecologically sensitive forest is stripped away in Jamaica, clear forest pools are filled with red sludge and caustic sauda, a ship sails off to Iceland, in Iceland a dam blocks off a valley, the land sinks under the weight of the water, clay is whipped up by winds from the mudflats beside a reservoir, electricity is sold at give-away prices by the people that sacrified their land. there are always two side of a story:there are some very pretty flowers on the website (p.246). L'auteur passe beaucoup de temps à démonter la politique énergétique de son pays mais aussi les industriels auxquels les politiciens avaient l'intention de vendre cette même énergie : des industriels qui n'hésitent pas à commettre crimes de guerre et crimes environnementaux pour leurs profits. Mais dans la novlangue du premier ministre, la situation est présentée ainsi : There is a consensus over the need for continued economic growth in Iceland, and it is abundantly clear that if we fail to utilize the country's energy ressources there will be an apreciable downturn in economic growth as early as 2007 with an attendant rise in unemployment (p.231). Un magnifique exemple de langue de bois politique qui, déconstruite longuement par l'auteur, n'est rien d'autre que de la menace mensongère. Je ne vais pas reproduire ici tous les arguments que l'auteur avance pour promouvoir la protection environnementale, mais il résume la chose selon une perspective très habile : Perhaps we ought to consider putting what remains of the waterfalls and wide open spaces of Iceland under the directorate of health as a designated and inalienable part of the national health service. By this, I mean health both physical and mental (p.210). Et, pendant ce temps, l'armée américaine locale, en coopération avec l'état islandais, mène des exercices à grande échelle de lutte contre des... environnementalistes extrémistes (p.207).

Revenons vers le début du livre, bien plus difficile à résumer, où Andri Snær Magnason prend le temps de poser des bases théoriques pour alimenter son propos à venir. Il faut ici noter son écriture : c'est un écrivain, et on le sent. Il n’hésite pas à partir loin, à faire un peu de politique-fiction ou presque de la fable. Il commence son livre par évoquer le langage et les difficultés de communications entre individus. Le monde se complexifie à vue d’œil, et cette complexité est exploitée par le pouvoir. Comment penser si on ne peut mettre des mots sur les choses ? L'auteur imagine un monde où les humains discutent de félins avec la même précision avec laquelle il parlent de stations hydroélectriques, c'est un dire un monde où le langage technique est employé quotidiennement sans être compris de la plupart des gens (p.64) :

Dreamland: A Self-Help Manual for a Frightened Nation - Andri Snær Magnason

L'auteur passe plusieurs pages à déconstruire le terme croissance économique. Selon lui, c'est devenu un outil linguistique d'une puissance considérable mais que peu de gens comprennent vraiment, un outil qui se rapproche du mysticisme religieux (p.72) Accuser quelqu'un d'être contre la croissance économique revient à une excommunication, une décrédibilisation totale. L'auteur soutient à la place une multitude d'indicateurs précis plutôt que ce géant : des indicateurs pour l’éducation, le progrès technologique, et autres choses de ce genre. Il en arrive inévitablement à l'éducation, et j'aime beaucoup ces quelques phrases : People build up a thick layer of fact but cannot apply it to the real world. They never actualy take the plunge. They forget that science is about huge, burning questions crying out to be answered, not answers that need to be learned. Science, philosphy and the arts were once branches of the same tree, not starkly demarcated oposites."There is no point re-inventing the wheel", they say; perhaps the truth is more that the wheel has not been invented often enouth (p.93). Andri Snær Magnason va plus loin en proposant des directions pour l’éducation : permettre aux élèves/étudiants d'être acteurs, créateurs, les mettre en contact concret avec le monde et avec autrui plutôt que de les laisser assis passivement (p.96). Ce genre de chose me parle. Beaucoup.

Magnason se laisse aller à un petit exercice de ré-imagination de la construction des pyramides égyptiennes, une fable qui sert à faire parallèle avec l'industrie lourde en Islande. En gros, la morale en est : Man has a tendancy to preserve esthablished systems wether they make sense or not (p.149). Il imagine que, une fois commencée, la construction des pyramides ne pouvait plus être stoppée car trop de gens en dépendaient financièrement. Que ces chantiers soient absurde ou non n'est pas la question : ils ne peuvent être stoppés car ils donnent du travail a une partie importance de la population. Par exemple, rien d'autre que la volonté politique n’empêche le métier de caissier d'être entièrement automatisé. Un métier en bonne partie inutile qui pourtant fournit du travail en masse. Pourquoi prendre le risque de changer l'ordre établi ? Et en bonus, une très amusante vision de l'emploi : To save on costs Pharaoh decides not to use slaves but wage slaves - slaves need watching over, feeding, clothing and driving forward; they may be physically bound, but spiritually they are free and look to escape at the first opportunity. Wage slaves turn up to work volontary and can work for way below subsistence levels. What they fear above all else is freedom, that they call unemployment (p.150). Je suppose que toute ressemblance avec la réalité est parfaitement fortuite.

Dreamland m'a fait penser à autre chose. C'est un livre environnementaliste, et souvent on ne peut pas séparer l’environnementalisme du végétarisme/végétalisme, et pour de bonnes raisons. Mais ici, le sujet est évoqué mais rapidement laissé de côté avec indifférence. Et, au contraire, l'auteur soutient clairement la production de viande. Il est clair que les conditions islandaises ne sont pas les mêmes que sur le continent : beaucoup d'océan pour la pèche, beaucoup de terres pour l'élevage, très peu de population et un environnement peu propice à la culture de fruits et légumes. Il me semble qu'en Islande, l’élevage animal et la pèche, en raison de la très faible population, sont écologiquement viables et peut-être même nécessaires (bien entendu c'est une supposition : je n'en sais rien). Dans ce cas, est-ce que peut surgir le problème éthique ? Ou le problème éthique ne peut-il surgir à grande échelle que quand des alternatives viables existent ? En Islande, la culture sous serre avec l'aide de l'énergie thermique est-elle cette alternative ?

En somme, Dreamland: A Self-Help Manual for a Frightened Nation est une excellente lecture. De l'environnementalisme appliqué à une situation précise dans un petit pays qui s’efforce de maintenir son rapport privilégié avec son environnement, en opposition avec des forces considérables qui veulent exploiter cet environnement jusqu'à la corde. Je ne crois pas qu'il existe de traduction en français.

281 pages, 2006, citizen-press london

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