samedi 6 janvier 2018

L'oreille interne - Robert Silverberg


L'oreille interne - Robert Silverberg

J'avais lu L'oreille interne il y a déjà pas mal d'années, et je n'en gardait guère de souvenirs à part le synopsis basique : David Selig est une sorte de télépathe. Il peut pénétrer à volonté dans l'esprit des gens, fouiller dans les moindres recoins de leurs impressions superficielles comme de leur identité profonde. Mais ce don n’empêche pas Selig d'être malheureux. Même sans son pouvoir, il serait probablement un marginal. La télépathie ne fait que renforcer ce trait. Elle lui permet de connaitre intimement autrui en quelques instants, mais il ne peut pas se permettre d'utiliser cette intimité, car comment l'expliquer sans révéler son don ? La barrière des apparences n'existe plus entre lui et qui que ce soit. Si par exemple il trouve une femme qui lui plait, savoir en quelques instants qui elle est vraiment et ce qu'elle pense exactement de lui l’empêche dans la plupart des cas d'avoir de véritables relations intimes. Selig rencontre quelqu'un d'autre qui possède le même don. Mais cet autre télépathe, contrairement à lui, vit parfaitement bien avec son anormalité. Il ne la laisse pas interférer négativement sur sa vie quotidienne et, au contraire, l'utilise sans remord pour se faire de l'argent facile à volonté. Voilà qui le souligne que L'oreille interne n'est pas tant un roman sur la télépathie qu'un roman sur un homme intelligent mais ordinaire qui lutte avec une vie médiocre.

Et ce don, qui isole Sélig tout en faisant intiment partie de son identité, s'évanouit petit à petit. C'est le récit d'une première mort. C'est sa façon de vivre, de percevoir autrui, de comprendre autrui, qui lui échappe. Comme s'il devenait aveugle et sourd. Sélig, essayant de faire face à cette diminution de lui-même, nous raconte sa vie de façon non chronologique. Son enfance, ses amours, son activité de nègre pour des étudiants... Certains passages sortent vraiment du lot, comme ces vacances adolescentes à la campagne, où Sélig, tranquillement assit, laisse ses perceptions voguer d'esprit animal en esprit humain, tentant de comprendre chacun, de briser la barrière des apparences. Ou quand il fait au lecteur une visite guidée de son appartement, jetant un regard cynique et plein d'auto-dérision sur son quotidien et son passé, hésitant entre la première et la troisième personne, comme si parfois sa télépathie, qu'il considère comme un parasite, avait une existence propre et prenait la parole.

Comme Le livre des crânes, L'oreille interne s'échappe avec aisance de son statut de science-fiction : c'est certes de l'excellente SF, mais aussi aussi de l'excellente littérature en général. Un récit de la vie quotidienne, de la solitude, des aventures amoureuses en demi-teinte, de la difficulté à communiquer, de l'imperfection de chaque esprit, de l'inévitable dégradation progressive de la machine humaine. Silverberg a un langage vif, inventif, il n'hésite pas à surprendre, à multiplier les références littéraires appropriées (car elles étoffent le personnage de Sélig), à entrecouper son récit des dissertations douteuses que Sélig rédige pour gagner sa vie, à utiliser la télépathie pour peindre de nombreux portraits nuancés. Un classique que j'avais peut-être lu la première fois trop jeune pour en apprécier la maturité.

334 pages, 1972, folio SF

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