mercredi 29 novembre 2017

Les vertus de l'enfer - Pierre Boulle


Les vertus de l'enfer - Pierre Boulle

Le parcours de John Butler, un ancien GI traumatisé pendant la guerre du Vietnam. Comme bien d'autres vétérans, il a commencé à goûter en Asie aux joies de l’héroïne pour supporter l'horreur de sa situation. Et de retour aux USA, il se retrouve seul, sans amis, sans famille, sans travail. Mais avec l’héroïne. Butler est un junkie. Le roman commence quand il se résout à une agression à main armée pour pouvoir se procurer sa dose. Et de fil en aiguille, il va joindre une vaste organisation de trafic de drogue. D'abord en tant que petit revendeur, puis chimiste, et bien plus encore. Sa trajectoire est surveillée avec attention par deux groupes. Ses employeurs, bien sur. Ils discernent dans ce camé en apparence banale un certain potentiel. C'est aussi l'occasion de vivre le trafic du point de vue des gros bonnets. Des membres du BNDD aussi, l’ancêtre de la DEA. Ceux-là offrent un aperçu du côté de la légalité, et travaillent en lien avec un psy qui tente de comprendre qui est vraiment Butler. Ses interprétations plus ou moins douteuses ne manquent pas de drôlerie. Par exemple :
Le travail le rebutait. Il haïssait d'instinct toute discipline. Il éprouvait du dégoût pour les matières qu'on cherchait à lui inculquer, sans avoir assez de ressort et d'imagination pour découvrir lui-même des sujets capables d'éveiller sa curiosité. Après différents tests psychologiques, qui révélaient une singulière mollesse de caractère, une angoisse confuse devant les réalités de la vie, une absence générale d’intérêt et une répugnance à agir, les éducateurs l'orientèrent tout naturellement vers les Lettres.

Butler est un paumé. Pierre Boulle fait le choix audacieux de faire s'épanouir son personnage dans la pratique du trafic de drogue. Dealer, Butler s'éveille, il utilise son expérience de drogué, il regarde le monde avec un regard plus vif. Il trouve même la motivation pour travailler pendant son temps libre à réactiver ses connaissances en chimie. Car Butler s'est trouvé un rêve, une passion : devenir chimiste, et créer l’héroïne la plus pure qui soit. Il est absorbé par son travail, intégré dans un milieu, respecté par ses employeurs. Il se plante toujours des seringues dans les veines, mais ce n'est plus l'opiacé qui le fait vivre. Puis l'occasion se présente de participer à un gros coup, le plus gros coup de l'histoire de l’héroïne : s'exiler un an dans les montagnes de Birmanie et achever de synthétiser cinq tonnes de poudre blanche. Là, cloitré dans forteresse, menant une existence monacale, il achève sa métamorphose. Il décide de participer à la longue randonnée de mille kilomètres à dos de mulet pour apporter la drogue à bon port. Alors que pendant la guerre du Vietnam il n'était qu'un lâche, il se comporte ici en héros. Combattre pour une vague notion de patrie, pour les hommes cravatés de Washington, contre l'ombre du communisme, dans les jungles moites où se terrent en embuscade des paysans qui défendent leur terre ? Il était lâche. Mais protéger le fruit de son labeur, la poudre si pure née de ses mains, mériter le respect de ses employeurs et de ses compagnons, avoir un objectif qui lui appartient, une situation qu'il a construite par son labeur ? Le voilà chef de guerre sur les sentiers birmans.

Bien sur, ça se termine mal pour Butler. S'étant trouvé une raison de vivre, ayant placé toute sa volonté en un seul objet, objet hautement illégal qui plus est, il ne saura pas faire preuve de mesure et replonger dans l'ombre quand il le devrait. L'auteur de La planète des singes dresse ici le portrait d'un personnage singulier, qui végète mollement dans la normalité mais qui s'épanouit jusqu'à se bruler les ailes quand l'occasion se présente, au mépris de toute question morale. Il y a là une douce et triste ironie. On ne peut que penser à tous les Butler du monde qui, faute de pouvoir s'intégrer, croupissent dans leur coin ou, au pire, s'épanouissent en opposition au bien commun.

318 pages, 1974, le livre de poche

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