mardi 13 juin 2017

Le zéro et l'infini - Arthur Koestler


Le zéro et l'infini - Arthur Koestler

Un roman sur le totalitarisme. On n'y trouve quasiment aucun nom de pays et aucun nom de dirigeant. Le terme communisme n'est même jamais employé. Pourtant on sait bien quel le « Parti » dont parle l'auteur, et qui est le « N°1 ». Le personnage principal, Roubachov, est à la fois un artisan et une victime du totalitarisme. C'est ce détail qui donne au roman une bonne partie de son intérêt : Roubachov a participé très activement au maintien du Parti, il n'est pas une simple victime comme l'est Ivan Denissovitch dans le roman de Solyenitsine par exemple. Roubachov se retrouve emprisonné un beau jour pour cause de divergence politique. Se déroule alors une parodie de procès qui ne peut conduire ailleurs qu'à la mort. Roubachov est un peu distrait par ses compagnons d'infortune, avec qui il converse en tapotant sur les murs : ces discussions sont la principale source d'humour du texte. Le voisin de Roubachov est également un opposant politique, mais plutôt du genre tsariste : leurs interactions sont donc assez cocasses. Roubachov passe également le temps en se remémorant des épisodes de sa vie passée au service du Parti et en s'interrogeant sur le bienfondé de ses actions.

Le zéro et l'infini est un roman habillement construit qui décortique avec précision l'univers carcéral sous un régime totalitaire. On sent l'influence qu'il a pu avoir sur Orwell. Mais il offre surtout une compréhension des arcanes de ce type de système politique d'une rare pertinence. Roubachov est persuadé d'avoir bien fait, ou du moins d'avoir tenté de bien faire : la fin justifie les moyens. Et pourtant la fin qu'il a sous les yeux est un peu nulle, les conditions de vie sont pires qu'avant le Parti. Faut-il simplement être encore un peu patient ? Il s’interroge sur la valeur la de la vie individuelle : est-il juste de sacrifier une vie, de sacrifier des millions de vies, dans le but d'offrir aux générations suivantes un potentiel monde meilleur ? Ce simple questionnement est une trahison : toute déviation idéologique ne peut être résolue que par la mort. Pas simplement la déviation politique : il en va de même pour les questions pratiques. Le bel idéal s'est écroulé avec les années, et le N°1 crée la vérité avec ses paroles. On se retrouve face à une sorte de cancer de la raison, une maladie sociétale qui élimine tout obstacle qui la sépare de son objectif : créer de la certitude. C'est d'autant plus grotesque que cette certitude change selon les intérêts du moment.

Je ne fais absolument pas justice au roman, j'aurais dû prendre des notes pour pouvoir en parler un peu mieux. Le fait est que j'en ressort avec l'impression que ma compréhension de ce qu'est le totalitarisme s'est accrue.

283 pages, 1940, presses pocket

vendredi 9 juin 2017

Dimitri Roudine - Tourgueniev


Dimitri Roudine - Tourgueniev

Quelque part dans la compagne russe, une femme de la bonne société vient passer l'été avec sa fille, Natalie. Pour tromper l'ennui, elle fait salon avec les propriétaires du coin. Et voilà qu'un beau jour surgit Dimitri Roudine. Un homme charmant, intelligent, et habile avec les mots. En quelques instants il devient le roi de la maison, séduisant tout le monde par son esprit et sa maitrise du langage. Au bout d'un moment, il se croit amoureux de Natalie, et celle-ci de même. Mais cette amour est impossible, et Roudine retourne errer sur les routes, de rencontre en rencontre, d'aventure ratée en aventure ratée.

Roudine est un homme droit, mais il ne tient pas en place et aime un peu trop s'écouter parler. Autour de lui les personnages le jugent, en bien ou en mal. Certains admirent son esprit, d'autres méprisent sa superficialité. Mais lui-même est toujours sincère, essayant de bien faire, et échouant. Il me semble que c'est une constante chez Tourgueniev : cet inévitable retour à la banalité. L'amour entrevu n'est qu'une illusion, et chacun restera finalement à sa place. Il n'y a pas de changement soudain, pas de miracle. Natalie épouse un jeune homme sympathique et bienveillant, et Roudine reste esclave de sa personnalité à la fois trop droite et trop instable. Pas d'éclat flamboyant pour ces personnages, simplement un chemin long et prévisible. Sous la plume de Tourgueniev, il n'y a là pas trop de tristesse. Au contraire, on aime ces héros ordinaires, ils sont touchants dans leur imperfection. Si chez Dostoïevski les personnages sont des ratés fabuleux, des losers médiocres mais habités par une flamme divine, ceux de Tourgueniev sont plus calmes, plus simples.

Il peut avoir du génie, je ne m’y oppose pas, quant à sa nature, c’est par là qu’il pèche. Ce qui lui manque c’est la volonté, c’est le nerf, la force. Mais il ne s’agit pas de cela. Je veux parler à présent de ce qu’il a de bon et de rare. Il a de l’enthousiasme et vous pouvez me croire, moi qui suis un homme flegmatique, quand je vous dis que c’est une des qualités les plus précieuses à une époque comme la nôtre. Nous sommes tous insupportablement réfléchis, indifférents et apathiques ; nous sommes endormis et glacés : voilà pourquoi il faut rendre grâce à celui qui nous réchauffe et nous anime, ne fût-ce que pour un instant, car nous avons bien besoin de cette féconde surexcitation.

213 pages, 1856, stock

jeudi 1 juin 2017

Les meilleurs récits de Weird Tales - Tome 3

Les meilleurs récits de weird tales - Tome 3
 
 
  • L'ombre sur l'écran de Henry Kuttner. Une nouvelle fantastique dont la principale particularité est de se dérouler dans le monde du cinéma. Pour le reste, c'est assez convenu sans être pour autant mauvais : un couple de héros, un fou dangereux qu'on voit venir à trois kilomètres et une étrange créature pas très amicale.
  • Esclave des flammes de Robert Bloch. Une agréable bizarrerie. Un pyromane devient pote avec d'autres pyromanes... qui se révèlent être d'anciens romains survivant depuis des siècles grâce à un pacte avec une divinité amatrice d'incendies. L'un d'eux est Néron : il n'était pas fou, il avait juste un goût particulier pour la véritable beauté, la beauté des flammes ! C'est un artiste incompris. 
  • La maison de l'extase de Ralph Milne Farley. Jacques Sadoul a inclus cette nouvelle parce qu'elle était très populaire, mais il est d'accord avec moi : c'est mauvais. L'auteur tente de prendre le lecteur comme personnage en disant "vous", mais c'est plus lourd qu'autre chose. Un hypnotiseur manipule le personnage principal pour s'offrir une nuit de plaisir en le faisant interagir avec une jolie captive. Celle-ci a un comportement complètement erratique, les deux se font un bisou, et voilà. 
  • Tout au fond de Robert Barbour Johnson. C'est l’œuvre d'un disciple de Lovecraft, celui-ci étant même cité. Dans les tréfonds du métro new-yorkais, d'étranges créatures rodent, amatrices de chair humaine. Pour protéger les citoyens, une équipe passe ses nuits à monter la garde, au risque de fragiliser leur santé mentale. C'est vraiment bien foutu, et on se sent étonnamment proche de Metro 2033.
  • Le jardin d'Adompha de Clark Ashton Smith. De la fantasy morbide dans la veine des autres récits de Smith. Un roi et son magicien ont un jardin secret. Ils aiment prendre des membres de gens qui les ennuient pour les greffer aux plantes. Bien sur, ça va mal tourner.
  • La nymphe des ténèbres de Catherine L. Moore et Forest J. Ackerman. C'est plus ou moins de la SF, mais c'est surtout très nul. Un héros rencontre une femme en détresse, elle a des capacités uniques, des méchants veulent la capturer, alors ils combattent les méchants. Le seul texte du lot que je n'ai pas eu le courage de lire en entier.
  • La déesse de Zion par David H. Keller. Peut-être ma nouvelle préférée du recueil. Alors qu'il se ballade dans le parc national de Zion, le narrateur rencontre un type qui lui propose de faire le lendemain une randonnée jusqu'au sommet d'une montagne. Il accepte. Pendant leur marche, l'inconnu va lui raconter son histoire et celle de la montagne et de ses habitants. C'est calme et onirique, j'aime ce fantastique très ancré dans la nature.
  • Routes par Seabury Quinn. Étant donnée la qualité déplorable des nouvelles de cet auteur dans les recueils précédents, je m'attendais à sauter celle là. Mais, étonnamment, ce n'est pas si mal. On suit un barbare nordique égaré en Judée qui va croiser la route de Jésus juste après sa naissance et à l'occasion de sa crucifixion. Et ensuite, ce type, qui s'appelle Klaus, devient le père noël (Santa Klaus). J'aime bien la plongée dans le passé, et même si ça devient vraiment n'importe quoi à la fin, avec ces histoires de genèse du père noël, c'est marrant. Le coté propagande chrétienne est aussi plutôt distrayant.
  • L'Hydre de Henry Kuttner. Un récit fantastique lovecraftien tout ce qu'il y a de plus classique. Quelques potes font des expériences douteuses, ça foire, ils se rapprochent d'autres dimensions, deviennent fous et meurent dans des circonstances mystérieuses. Originalité zéro, mais ça fonctionne.
  • Le tueur fantôme de Fritz Leiber. Nouvelle qui se démarque par qualité de son écriture. J'ai l'impression de l'avoir déjà lue, mais toutes ces nouvelles fantastiques doivent finir par se confondre dans mon esprit. Un mec fauché emménage dans l'appartement de son oncle récemment décédé, oncle qui a potentiellement un petit secret. Pas mal du tout, mais l'auteur à un peu trop tendance à recourir à la facilité qu'est le rêve pour introduire le mystère. 

 219 pages, j'ai lu