vendredi 19 mai 2017

Nous - Evgueni Zamiatine


Nous - Evgueni Zamiatine

Un classique de la dystopie. On ressent clairement l'influence qu'il a pu avoir sur Huxley et Orwell, mais aussi sur Silverberg ou Levin. Dans un futur fort lointain, l'humanité existe sous l'autorité de l’État Unitaire, un pouvoir on ne peut plus totalitaire. Les hommes vivent dans de gigantesques immeubles transparents, où ils peuvent observer les faits et gestes de leurs voisins. Faits et gestes qui sont sans surprise, puisque toutes les vies sont soumises à un emploi du temps unique, rationnel, inspiré du taylorisme. Les rideaux ne peuvent être tirés sur les parois transparentes que pendant les séances sexuelles, prévues et organisées scientifiquement.

Le narrateur est un bon citoyen. Son travail, c'est de construire l'Intégrale, un vaisseau qui doit répandre la sagesse de l’État Unitaire sur d'autres mondes. Sa petite vie bien organisée est pourtant toute chamboulée quand il rencontre l'amour. Il va apprendre les sentiments antiques, les joies du chaos, les plaisirs de la nature. Mais bien sur tout va foirer, et après un dialogue avec la figure d'autorité, il va être de force réintégré au grand tout. On le voit, c'est une trame on ne peut plus classique pour ce genre de littérature. Mais, bien que je n'en sois pas certain, c'est peut-être Zamiatine qui en est l'origine. Par exemple, dans Meccania, autre dystopie en avance sur son temps, datant celle-ci de 1918, soit deux ans avant Nous, on ne trouve absolument pas cette trame.

Mais on ne peut parler du roman de Zamiatine sans s'attarder sur son écriture (qui, si j'en crois mes modestes connaissances, me semble typiquement russe). Comme c'est précisé en préface, cette écriture est en totale opposition avec le monde qu'elle décrit. Ce monde est froid, rationnel, paisible, totalitaire, et à l'inverse cette écriture est éclatée, furieuse, fragmentaire, passionnée. J'ai lu Nous d'une seule traite. La plume de Zamiatine est d'une habilité époustouflante (et sans doute la traduction aussi). L'esprit enflammé et confus du narrateur est hypnotique, on croirait lire un poème en prose. D'un point de vue purement littéraire, pour qui s'attache à la beauté qu'il est possible de créer avec des assemblages de mots, Nous est juste brillant. Le style change radicalement pour les deux dernières pages, quand l'esprit du narrateur est devenu à l'image de sa société. Du coup, l'écriture n'est pas juste belle pour le plaisir de la beauté : elle sert à exprimer la tension d'un personnage, tension qui existe en réaction à une société aliénante. Or, dans les deux dernière pages, on ressent la disparition totale de cette tension qui, malgré les souffrances qu'elle cause, est aussi un souffle vital.

Par contre, aussi habile que soit cette écriture, elle a l’inconvénient de nuire à la clarté du récit. Si j'étais absolument happé par ma lecture, il m'arrivait souvent de ne pas comprendre la moitié des évènements, surtout vers la fin. Ce qui est un peu frustrant. Cela n’empêche pas le roman de Zamiatine de briller par sa qualité. Il exprime particulièrement bien cette éternelle opposition entre le chaos inné et vital de l'homme, et la recherche d'organisation et de contrôle sans laquelle une société ne peut exister. Zamiatine explore la tentation de nier ce chaos, la tentation paradoxale d'espérer une libération par le renoncement à la liberté.

233 pages, 1920, actes sud

2 commentaires:

  1. J'avais émis un peu les mêmes réserves que toi, concernant le style (parfois un peu maladroit, même, ou mal traduit ?) mais il faut, c'est vrai, saluer ce visionnaire qu'était Zamiatine, avant Orwell, avant Huxley...

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  2. Au final, le style est plus positif que négatif je trouve : au moins on lit pas des romans comme ça tous les jours. Par contre, je crois que tu as lu l'édition Gallimard : là, chez Actes Sud, c'est une nouvelle traduction. Je ne sais pas en quoi elle est meilleure (ou pas), mais qui sait, c'est peut-être assez différent.

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