jeudi 12 janvier 2017

Le meilleur des mondes - Aldous Huxley


Le meilleur des mondes - Aldous Huxley

Pour explorer son Brave New World, Huxley fait le choix de suivre plusieurs types de personnages. Tout d'abord, il y a l'immense majorité de la population : les adaptés. Henry Foster, Lenina et quelques autres. A l'aise dans leur univers comme des poissons dans l'eau, ils répètent avec conviction les sentences apprises pendant leur conditionnement enfantin, leur éducation. Nés dans une classe, qu'ils soient Béta, Delta ou Epsilon, ils en sont satisfaits. « Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. » Leurs capacités intellectuelles, savamment choisies pendant leur conception dans des tubes à essais, sont juste celles qui leur convient. Ils se réjouissent de pouvoir câliner qui ils veulent, d'aller au cinéma, de participer à des orgies parodiant les cérémonies religieuses et de pratiquer divers jeux conçus pour stimuler la consommation. Et si par malheur ils se sentaient mal, le soma, la drogue ultime, est là pour les consoler. Mais ce n'est pas avec de tels personnages qu'Huxley va créer de la tension, non, pour cela, il faut des inadaptés. Ils représentent une toute petite minorité, mais une minorité sans laquelle il ne se passerait pas grand chose. Bernard est inadapté parce qu'il est un peu déficient physiquement. Il en veut au monde, mais pour peu qu'il traverse une phase de succès, pour peu que les femmes soient attirées par sa gloire, le voilà réconcilié avec la société. Helmholtz, lui, est inadapté car il ressent une insatisfaction profonde : le goût pour l'art. Or, dans le meilleur des mondes, l'art est un danger. Stimulant la pensée et les passions, elle est facteur du plus grand ennemi de l'ordre social : l'instabilité. Vient ensuite l'inadapté ultime : le Sauvage. Enfant du meilleur des mondes qui a grandi dans un coin de la planète conservé comme réserve naturelle, avec des humains à l'ancienne, crasseux et superstitieux, il n'est à sa place dans aucun de ces deux environnements.

Ce qui est particulièrement marquant à propos du Meilleur des mondes, par rapport à la plupart des dystopies, c'est que cette société... n'est pas si mal. Personne n'y meurt de faim. Il n'y a pas de maladies. Pas de guerres. La sexualité est libre, les drogues sont légales. La plupart des gens sont sincèrement heureux. Et même celui qui est un dissident, qui n'a pas envie de coucher avec tout le monde ni de prendre son soma, qui rêve juste d'écrire des poèmes, le pire qui puisse lui arriver, c'est d’être déporté sur une île isolée mais confortable avec d'autres inadaptés. On a vu pire, comme répression. Le fait est que, pour une bonne partie de la population actuelle de notre petite planète, vivre dans le meilleur des mondes serait... désirable.

Alors pourquoi est-ce une dystopie ? Le manque de liberté ? C'est ce que prétend le sauvage. Il réclame le droit d’être malheureux. Mais lui-même a été conditionné. Il a grandi avec les œuvres intégrales de Shakespeare comme seule lecture, et en conséquence il est esclave de ses passions, ils se lamente face à la mort, il mélange la haine à l'amour parce que la femme qu'il désire est un peu trop entreprenante à son gout, il se flagelle sans fin par honte de ses pulsions naturelles. Il n'y a pas là plus de liberté. Et contrairement aux autres qui sont conscients de leur conditionnement, lui a l'air de se croire vrai, naturel.

Le meilleur des mondes est proche, très proche de nous. « On laissait fonctionner la télévision, tel un robinet ouvert, du matin jusqu'au soir. » Cette proximité est troublante. Le soma ? Les antidépresseurs, l'alcool, le cannabis, le sucre, youtube... L'histoire de l'humanité est très étroitement liée à celle des drogues. Puis l'on rentre dans une librairie et, enfin, on est rassuré de se sentir entouré du meilleur de l'esprit humain, qui par sa présence, par l’intérêt que lui portent encore les hommes, nous prouve que cette vision du futur reste inexacte. Et que, du coup, on a toujours la guerre.

« Il y avait une chose appelée Ciel ; ils consommaient néanmoins des quantités énormes d'alcool. Il y avait une chose appelée âme, et une chose appelée immortalité. Mais ils prenaient de la morphine et de la cocaïne...»

285 pages, 1932, pocket

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