samedi 31 décembre 2016

Extension du domaine de la lutte - Michel Houellebecq


Extension du domaine de la lutte - Michel Houellebecq

Jusqu'à présent je n'avais lu de Houellebecq que son petit essai sur Lovecraft. J'ai trouvé Extension du domaine de la lutte, son premier roman, dans une boite à livres à Brive, entre quelques heures de train et quelques heures de voiture. Au voyage retour, cette fois intégralement en train, je lisais péniblement Eumeswil, un gros pavé d'Ernst Jünger. Au bout de cent pages bien écrites, certes, mais d'un rythme d'une rare platitude, je feuillette les pages suivantes pour voir si, par hasard, il n'y aurait pas plus loin de quoi me motiver. Non, on ne dirait pas. Alors je commence Houellebecq, et il faut bien le reconnaitre, c'est un peu plus fun.

Enfin, quand je dis fun, c'est relatif. C'est un bouquin sur la dépression. En bonne partie autobiographique, si j'ai bien compris. Le narrateur a une trentaine d'années et bosse dans une entreprise d'informatique. Et il a une vie de merde. Sa vie relationnelle est pathétique, sa vie sexuelle est pitoyable. Je suppose que pas mal de gens peuvent s'identifier. Le truc, c'est que ce ne sont pas en soi des choses quoi doivent impérativement mener à la dépression. Mais ça aide, et le narrateur y est particulièrement sensible, créant ainsi une spirale négative sans échappatoire. Les quelques personnages secondaires ne sont pas mieux, tout le monde est un peu misérable. Sauf les jeunes, qui sont frais et enthousiastes, les moins moches pouvant baiser sans trop de difficulté. Tisserand, lui, est moche. Pas de chance :

Tu comprends, j'ai fait mon calcul ; j'ai de quoi me payer une pute par semaine ; le samedi soir, ça serait bien. Je finirai peut-être par le faire. Mais je sais que certains hommes peuvent avoir la même chose gratuitement, et en plus avec de l'amour. Je préfère essayer ; pour l'instant, je préfère encore essayer.

Personnellement, je crois n'avoir jamais été touché par ce qu'on appelle la dépression, mais j'ai eu l'occasion d'en voir les ravages autour de moi, parfois tout près, régulièrement. J'aimerais bien pouvoir dire quelque chose de constructif sur le sujet. En tout cas, un roman comme Extension du domaine de la lutte a quelque chose de cathartique, c'est une exploration rapide mais plutôt réussie d'un sujet très difficile. Du quoi me donner envie de lire d'autres romans de Houellebecq. Et pour finir, les deux premiers paragraphes de Sanctuary d'Alice Cooper, pour une touche d'humour noir :

Your world full of creeps
Zombies walk the street
9 to 5 barely alive
Have a beer go to sleep
And start all over again

Same gray suit
Same round shoes
Same headache
Same pills
He goes home thinks about suicide
But hes got his diploma
Got to give him that

156 pages, 1994, j'ai lu

vendredi 23 décembre 2016

1984 - George Orwell

1984 - George Orwell

 'Listen. The more men you've had, the more I love you. Do you understand that ?'
 'Yes, perfectly.'
 'I hate purity, I hate goodness ! I don't want any virtue to exist anywhere, I want everyone to be corrupt to the bones.'
 'Well then, I ough to suit you dear. I'm corrupt to the bones.'
 'You like doing this ? I don't mean simply me : I mean the thing in itself ?'
 'I adore it.'

Quand ai-je lu 1984 pour la première fois ? Il y a dix ans ? Probablement plus. J'étais très jeune, et 1984 m'avait beaucoup marqué. Et après relecture en version originale, le roman d'Orwell est toujours aussi efficace. Une structure simple, limpide, un univers glaçant et des tas d'idées captivantes, on comprend l’influence colossale qu'il a pu avoir. Le parcours de Winston Smith est d'une clarté remarquable : de citoyen moyen rebelle dans son esprit il va devenir rebelle par les actes avant de se faire choper, torturer, et d’abandonner au Parti son identité intérieure. Il y a une limpidité qui m'a fait penser à d'autres classiques comme La machine à explorer le temps ou 2001. C'est une structure presque musicale, épurée autant que possible, que l'on sent destinée à traverser les époques.

Parmi les concepts marquants, commençons par la doublepensée. Doublethink means the power of holding two contradictory beliefs in one's mind simultaneously, and accepting both of them. C'est bien évidemment un procédé parfaitement commun dans la vie quotidienne de toute époque. Par exemple : avoir un animal de compagnie, aimer les animaux et être révolté par toute cruauté envers eux, mais avoir dans son assiette à chaque repas un bout de cadavre d'animal. Ou encore : être un écologiste convaincu, savoir qu'en France la pollution de l'air serait responsable de 48000 morts par an, mais ne jamais effleurer l'idée de vivre sans voiture. Mais toute l'horreur du système politique de 1984, l'Ingsog (pour English Socialism), vient du fait que la doublepensée est non seulement parfaitement identifiée, mais encouragée. Savoir en même temps que le Parti ment et que Parti dit la vérité. Autre idée : Newspeak. Une idée qui est restée ancrée en moi depuis ma première lecture de 1984 il y a bien longtemps. Le langage est la pensée. Ne pas connaitre un mot, c'est ne pas connaitre ce qu'il représente, c'est un concept en moins dans l'éventail des possibles. Ainsi est l'objectif du Newspeak : établir un nouveau langage simplifié à l’extrême, un langage qui empêcherait à la source toute pensée dissidente en annihilant les concepts de liberté, d'individualité, d'histoire... Et même si de vagues impressions suggérant ces concepts peuvent naitre dans un esprit particulièrement alerte, que peut-il faire de ces impressions s'il n'a pas de mot pour les exprimer et les mettre en ordre ?

And even if we chose to let you live out the natural term of your life, still you would never escape from us. What happens to you here is for ever. Understand that in advance. We shall crush you down to the point from which there is no coming back. Things will happen to you from which you could not recover, if you lived a thousand years. Never again will you be capable of ordinary human feeling. Everything will be dead inside you. Never again will you be capable of love, or friendship, or joy of living, or laughter, or curiosity, or courage, or integrity. You will be hollow. We shall squeeze you empty, and then we shall fill you with ourselves.

Il ne s'agit pas de nier l'importance et la qualité de 1984, mais il ne serait pas amusant d'en parler sans être un peu critique. Déjà, l'échelle de la surveillance généralisée mise en œuvre par le Parti semble souvent totalement surréaliste. Des micros dans la campagne, sérieusement ? Une société qui n'est même pas foutue de produire suffisamment de lames de rasoir pourrait quadriller toute la campagne de systèmes de surveillance électroniques ? Question de priorité, répondra-t-on. En effet l'inefficacité chronique de cette société semble être volontaire. C'est un autre point qui me semble douteux. Par exemple, dans Meccania, roman qui a certainement inspiré Orwell, l'idée du gaspillage volontaire de ressources est aussi évoquée. Il faut maintenir le peuple occupé, même par du travail inutile, d'où l'importance de l'état de guerre permanent (ou dans le cas de Meccania la préparation à l'état de guerre) pour créer artificiellement du travail. Mais là où la société de Meccania est un succès technique abolissant toute pauvreté, celle de 1984 a juste l'air pathétique, en permanence au bord de l'effondrement. Or, une dystopie vraiment terrifiante est une dystopie qui, même au lecteur le plus critique, peut sembler, par certains cotés, bonne. Désirable. 1984 est une dystopie 100% mauvaise. Sérieusement, le Parti est à un niveau de pure malveillance digne du Mordor. Et si, par exemple, Winston Smith avait un train de vie convenable ? S'il bénéficiait de bons soins médicaux pour son ulcère, s'il avait des divertissements plaisants, serait-il aussi susceptible d'éprouver de la rébellion ? On peut se poser la question.

Ainsi 1984 est une dystopie confortable. C'est à dire que le mal, aussi puissant et terrifiant soit-il, vient de l'extérieur. Winston, dès le début du roman, est en rébellion. C'est un être suffisamment moyen pour que n'importe quel lecteur puisse s'identifier à lui. Winston est oppressé. Winston est une victime du système. Big Brother est donc devenu l'image par excellence de cette force oppressive et menaçante. Big Brother est l'état quand il écoute nos conversations téléphoniques, Big Brother est facebook quand il stocke et revend toutes nos informations... Mais le danger ne vient pas tant d'un telescreen qui espionne par la force et délivre fièrement sa propagande sans possibilité d’être éteint, mais au contraire du désir volontaire, de l'envie profonde d'allumer un tel écran et de s'y abandonner. Ceci est évidemment écrit par un occidental, un français de 24 ans, et il ne fait aucun doute que l'identification à la vision d'Orwell varie grandement ailleurs dans le monde. Prochaine étape : relire Le meilleur des mondes.

250 pages, 1949, penguin books

dimanche 18 décembre 2016

The Country of the Blind - H.G. Wells


The Country of the Blind - H.G. Wells


J'ai consommé cette nouvelle d'une façon particulière : en la lisant en version originale sur wikisource, tout en écoutant une version audio, très agréable, disponible également sur wikisource. Ça dure une heure, et c'est chouette.

Quelque part dans les Andes, perdue dans une vallée isolée, existe une petite civilisation. Ils sont peu nombreux, quelques centaines, peut-être moins, et depuis quinze générations, tous sont aveugles. Dans leur petit coin paisible, la vie n'est pas trop dure pour eux, et leurs autres sens se sont développés pour palier à leur absence de vision. Et un beau jour, après une longue chute dans la neige, le long de pentes abruptes, égaré, voici qu'arrive un homme du dehors. Un homme qui voit.

“What is blind?” asked the blind man, carelessly, over his shoulder.

Se sentant supérieur, il est tenté d'abuser de sa force. Les locaux croient que leur vallée est le monde, qu'au dessus de leurs têtes se dresse un plafond bien défini, que le chant des oiseaux est la voix des anges. L'homme qui voit désire le pouvoir, mais seul, il ne peut qu'échouer. Alors il se résigne, et accepte les coutumes locales. Peu importe la vérité quand il faut manger. Considéré comme un handicapé simplet, incapable de percevoir les sons avec finesse, son intégration se poursuit lentement, jusqu'à ce que l'amour le mette face à un grand problème : doit-il renoncer à sa vision pour devenir définitivement l'un des leurs ?

Dans cette petite nouvelle à la prose délicieuse, Wells examine la normalité. Pour ces aveugles, la normalité est de ne pas voir, ils ignorent l'existence d'un sens supplémentaire. Non seulement toute leur conception du monde en est chamboulée, mais cela pose la question suivante : et si l'humanité dans son ensemble ignorait un ou plusieurs sens ? Et si chacun d'entre nous était comme l'un de ces aveugles, incapable de voir l'évident ? Et il semble que ce soit le cas, il n'y a qu'à voir (ou pas, du coup) le spectre limité de la vision humaine par rapport à tout ce qui pourrait être perçu. Ce genre d'idée a été exploré vers la même époque par Rosny dans Un autre monde puis par Maurice Renard dans L'Homme truqué. Et l'homme étant un animal social, la normalité est définie par les croyances communes. Ainsi, étant le seul à voir, que ce soit vrai ou non, l'étranger est fou, et en vient à douter lui-même de la réalité de ses perceptions. La fin de la nouvelle, magnifique, fait ressentir au lecteur toute la beauté des choses simples qui l'entourent, beauté qui apparait à l'étranger quand il est sur le point de la perdre. Dans The History of Mr. Polly, Wells fait redécouvrir cette beauté à son personnage : « After a lapse of fifteen years he rediscovered this interesting world, about witch so many people go incredibly blind and bored. He went along country roads while all the birds were piping and chirruping and cheeping and singing, and looked at fresh new things, and felt as happy and irresponsible as a boy with an unexpected half-holiday. » (p180)

Allez, je m'autorise un plaisir rare : une petite morale.

Ne soyons pas aveugles à la beauté gratuite.

1904

vendredi 16 décembre 2016

Meccania le Super-État - Owen Gregory


Meccania le Super-État - Owen Gregory


Meccania est une pure dystopie. C'est à dire que c'est un roman qui s'attache essentiellement à décrire une société. On peut à peine parler de personnages, la plupart étant interchangeables et servant avant tour à exposer la structure sociale de Meccania. Bref, ici, pas de personnage principal oppressé qui va essayer de conquérir sa liberté pour ensuite échouer. Du coup, ce n'est pas un roman à mettre entre toutes les mains : c'est souvent très aride. Même en étant un grand amateur de dystopie, il y a quelques passages, pendant de longues conversations abstraites sur Meccania, qui sont un peu pénibles à traverser.

Mais à part ça, Meccania le Super-État est une lecture captivante. Procédé classique, un étranger vient à Meccania, en 1970 (le roman date de 1918), pour découvrir ce pays. Ce pays, comme tous les autres du roman, possède un nom fantastique, mais personne n'est dupe : c'est l'Allemagne. Une Allemagne totalitaire, au sens le plus fort du mot. Dans Meccania, il y a mechanical. Et pour cause : l'individualité est niée et confondue avec un État tout puissant. On pense bien sur au régime fasciste italien, au régime nazi et au communisme, mais ce qui m'a particulièrement sauté aux yeux, c'est la ressemblance avec ce que j'ai vu/lu sur la Corée du nord. Culte de personnalité, bien sûr. Un dirigeant décédé et divinisé, possédant sa statue aux dimensions colossales, devant laquelle il convient de se recueillir. Un puissant militarisme, avec rappels constants que Meccania est entouré d'ennemis qui cherchent à lui nuire (ce qui rappelle la position de l'Allemagne avant la WW1). De rares visiteurs, comme le narrateur, qui ne sont jamais laissés libres un seul instant. Quand ils ne doivent pas remplir des formulaires infinis, ils sont entre les mains de guides spécialisés qui récitent d'un air convaincu les mérites de leur patrie. Et face à toute interrogation, l'argument clé est que Meccania est en avance culturelle, intellectuelle et technologique sur les autres pays et que, en conséquence, le visiteur n'est pas assez intelligent pour comprendre. Tous les meccaniens avec lesquels le narrateur à l'occasion de parler sont de magnifiques exemples de servitude volontaire. Ils croient ce qu'ils racontent, ils croient en la perfection de leur système, parce qu'ils n'ont jamais rien connu d'autre, parce qu'ils ont été formatés dans ce sens, sans aucune chance d'apercevoir d'autres possibilités. Et il faut bien dire que, d'une certaine façon, Meccania fonctionne à merveille. Il n'y a aucune pauvreté, pas de crime. Et aucune liberté. Le département du temps, par exemple, gère la vie quotidienne de tous les citoyens. Chacun doit tenir un carnet détaillant toutes ses activités de la journée, demi-heure par demi-heure, ne laissant aucune place à toute démarche personnelle. Tout est géré par l'état, y compris la vie culturelle. Par exemple, le théâtre et la visite de musées sont obligatoires. Et tout art ne servant pas l'esprit meccanien est banni. L'art doit être utile, parler d'un sujet précis. Les chef-d’œuvre du théâtre, à Meccania, ont pour titre Acide Urique, Efficacité, Le Triomphe de Meccania, La Futilité de la Démocratie...  Autre invention remarquable d'Owen Gregory : la pathologisation de la dissidence. Toute personne se défiant de l'esprit meccanien ne peut être que malade, et ainsi doit être enfermée à vie, à moins de renier ses convictions et de s'offrir tout entier au super-état. 

Au milieu de toutes ces coquilles vides qui font office de personnages ressortent deux personnalités. Celle de Kwang, observateur ayant passé quinze années en Meccania. Pour parvenir à percer la carapace de cette société, c'est le temps qu'il faut y passer, en faisant semblant d’être convaincu, en rédigeant des livres de propagande à double sens : un meccanien y verra l'apologie de son pays, un étranger sera horrifié par un système aussi autoritaire et glacial. Kwang est un mélange entre un agent double et un lanceur d'alerte, et l'on ne peut qu’être touché par le sacrifice de tant d'années de sa vie dans le noble but d'informer le reste du monde du danger que représente ce régime totalitaire. Autre figure marquante, celle de ce vieil idéaliste, enfermé dans un asile, refusant de renier son hérésie : « Je reste ici parce que je ne suis qu'un prisonnier - dehors je serais un esclave. » 

Meccania, comme toute bonne dystopie, est d'une intemporalité frappante. Comme le narrateur quand il revient en France après six mois à Meccania, quand on n'y est pas confronté, on a vite tendance à imaginer comme impossible ce genre de société. Et pourtant...

283 pages, 1918, L'île oubliée

mercredi 14 décembre 2016

The History of Mr. Polly - H.G. Wells


The History of Mr. Polly - H.G. Wells

Quand le roman commence, Mr Polly est un homme de 37 ans, sujet aux indigestions, propriétaire malheureux d'un petit magasin d'habillement enfermé dans un mariage raté. Mr Polly n'aime pas sa vie, pas du tout. Du coup, gros retour en arrière pour comprendre comment il en est arrivé là. Un parcours fort banal : études plus que minimales, employé dans divers magasins, décès du paternel et héritage, mariage foireux et lancement du petit magasin. Les quinze années suivantes passent en un éclair, un éclair de totale platitude, et l'on se retrouve au point de départ. Pour en finir, Mr Polly décide de se suicider. Mais en faisant croire à un accident, pour que sa femme puisse avoir l'argent de l'assurance, parce que Mr Polly est gentil. Mais il se loupe totalement. Cependant, cette tentative de suicide ratée est une révélation : il est libre ! Il peut faire ce qu'il lui chante ! Mr Polly s'improvise donc vagabond, se ballade sur les routes, et finira par trouver sa place dans une auberge campagnarde.

Le ton employé par Wells, presque satirique mais pas tout à fait, est un régal. C'est très drôle, même si j'ai dû passer à coté de pas mal de jeux de langage. Mr Polly est un personnage fort attachant. J'ai lu sur la page Wikipedia anglophone du roman qu'il serait une version de Wells n'ayant pas eu la chance de faire des études, et cela me semble pertinent. Polly est plutôt intelligent, il aime lire et jouer avec les mots, il aime son prochain mais aussi se balader seul dans la nature. Une scène particulièrement réussie montre son premier contact avec des canetons : « Mr. Polly had never been near young duckling before, and their extreme blondness and the delicate completness of their feet and beaks filled him with admiration. It is open to question whether there is anything more friendly in the world than a very young duckling. » Bref, Polly est sensible à la beauté, il a du potentiel, mais n'a jamais eu la chance de le développer. Du coup, il est resté flou, frustré, incertain, accompagné d'un profond sentiment d’insatisfaction. Au cours de son mariage, il sait au fond de lui qu'il fait une erreur, qu'un mouvement passager ne devrait pas l'engager sur toute une vie : « He tried to asssure himself that he was acting upon his own forceful initiative, but at the back of his mind was the complete realization of his powerlessness to resist the gigantic social forces he has set in motion. » Polly se fait entrainer par les évènement, passif, jusqu'au moment où il se réinvente. Plus de travail désespérant, plus de vie conjugale encore plus désespérante. A la fin du roman, un vil personnage vient menacer la tenancière de l'auberge où Mr Polly s'est refait une nouvelle vie, et ces quelques pages au ton plus belliqueux ne sont pas les plus passionnantes. Pourtant, elles font sens dans la construction romanesque : c'est la première fois que Polly est confronté à un grave problème, une menace qui requiert de sa part une réponse vive, une conviction. The History of Mr. Polly est un excellent morceau de littérature sur la vie banale d'un homme banal. Un peu comme pour The New Machiavelli, une partie du plaisir vient d'une certaine empathie, ou plutôt d'une empathie certaine, pour le personnage principal.

234 pages, 1910, Penguin Books

vendredi 9 décembre 2016

Paris au XXe siècle - Jules Verne


Paris au XXe siècle - Jules Verne

Un roman de Verne n'étant jamais paru de son vivant, son éditeur n'ayant pas été convaincu de l’intérêt que pourrait porter le public à un tel texte. Comme le titre l'indique, c'est un récit d'anticipation assez classique. Verne explore le Paris de 1960, c'est à dire un Paris situé 100 ans dans le futur.

Je n'ai jamais été très attiré par Jules Verne. Enfant, j'avais toute sa bibliographie sur une étagère de ma chambre, mais je ne suis jamais allé plus loin que lire quelques pages. Verne était à mon goût de gamin trop... terre à terre. Et c'est un peu l'impression que me laisse ce Paris au XXe siècle. Verne cite un grand nombre de savants et de procédés scientifiques à peu près novateurs à son époque, et imagine leur application à grande échelle. Mais au final, on a du mal à se sentir plongé cent ans dans le futur, même en se replaçant dans le contexte d'écriture. Tout est juste plus gros. Plus gros bateaux, plus grosses rues, plus gros bâtiments. Mais c'est sur le plan sociétal que les choses sont plus intéressantes. Ce monde du XXe siècle est un monde pratique. Seules comptent l'argent et la productivité. Les banquiers et les commerçants sont rois. L'art, la culture ? Des choses honteuses, inutiles, à bannir. On a presque l'impression d’être face à un récit précurseur de Fahrenheit 451 et autres dystopies du même genre. Mais Jules Verne échoue à développer son thème. Le héros, Michel, et ses divers potes sont bien sur des rebelles, des inadaptés. Bref, des artistes. Ils n'y peuvent rien, ils veulent écrire des vers, faire du piano et lire Victor Hugo. Le problème, c'est que le propos de Verne se résume à "c'était mieux avant". On sent bien sur qu'en parlant du futur, il critique sa propre époque. Du coup, la majorité de la population n'est qu'une bande d'idiots incultes, et nos héros passent leur temps à se lamenter sur leur triste sort et à regretter le siècle précédent. Verne n'y va pas avec des gants, son propos manque franchement de subtilité. Des choix narratifs douteux, comme l'inévitable amourette, d'une absolue platitude, ou cette longue liste élogieuse, sur plusieurs pages, de tous les auteurs du passé qui n'ont plus d'équivalents modernes, histoire de bien montrer à quel point c'était mieux avant, achèvent de rendre Paris au XXe siècle plutôt oubliable. Néanmoins, pour l'amateur d'anticipation à tendance dystopique, c'est une petite lecture qui vaut le coup. Le classique parcours d'un inadapté se faisant broyer par une société impitoyable fonctionne malgré tout. Et les illustrations de François Schuiten sont superbes. Dans cette édition il n'y en a que trois, y compris la couverture, mais j'ai pu en voir d'autres sur le net. Celle en photo (d'une qualité douteuse) ci-dessous est particulièrement réussie, on se croirait presque dans une nouvelle de Clark Ashton Smith.

168 pages, 1860, le livre de poche

Paris au XXe siècle - Jules Verne

jeudi 8 décembre 2016

Phare 23 - Hugh Howey


Phare 23 - Hugh Howey

Hugh Howey m'avait moyennement convaincu avec Silo, mais le thème de ce petit roman me donnait très envie. Un mec solitaire, complétement isolé dans une balise spatiale, au milieu du grand vide. Deux constatations s'imposent pour commencer. Déjà, le roman est divisé en cinq parties qui, de toute évidence, ont été publiées épisodiquement. Du coup, au début de chacune, on a un petit résumé des précédentes. Bon, ce n'est pas trop gênant, mais pourquoi ne pas prendre un peu de temps pour lisser tout ça à l'occasion de la publication en un seul volume ? Ensuite, malgré la quatrième de couverture qui nous vend un récit de « l'infinie solitude des confins de l'espace », ce n'est pas trop ça. Le narrateur n'est quasiment jamais tout seul, il y a même un passage incroyable dans ce petit coin de la galaxie. A tel point qu'en étant soi disant totalement isolé, il arrive quand même à se trouver une copine. Et à arrêter la guerre entre l'humanité et des aliens, aussi. Dans le genre infinie solitude, j'ai vu mieux. Par contre, ce petit roman a d'agréables relents de pulp. Ça va vite, c'est un peu n'importe quoi, et c'est souvent drôle. Par exemple ce moment où le narrateur se fait un pote improbable, un étrange petit alien au langage très fleuri qui semble tout droit sorti du Guide du voyageur galactique. Et la fin, qu'on pourrait qualifier d'un peu niaise (disons plutôt optimiste, pour être sympa), arrive d'un coup sans prévenir, un peu facilement, et nous balance dans un sorte d'utopie à la Iain Banks (qui d'ailleurs dans le roman donne son nom à un champ d’astéroïdes). Bref, c'est un ensemble inégal, un peu déconcertant. Mais plaisant. Pour apprécier Phare 23, j'ai l'impression qu'il faut l'imaginer publié épisodiquement dans un équivalent moderne de Amazing Stories. Alors on peut passer quelques heures en bonne compagnie, dans une ambiance d'aventures spatiales un peu loufoques, contrairement au ton réaliste que nous vendent cette illustration de couverture et le résumé au dos du bouquin.


233 pages, 2015, Actes sud