mardi 29 mars 2016

Les neuf milliards de noms de Dieu - Arthur C. Clarke

Les neuf milliards de noms de Dieu - Arthur C. Clarke

  • Les neuf milliards de noms de Dieu. Étonnant que cette nouvelle soit celle qui ait donnée son tire au recueil, car à par son concept, elle n'a pas grand chose pour elle. Des moines tibétains décident d'acheter un gros ordinateur/calculateur (on est en 1952) pour... calculer les milliards de noms de Dieu. Deux ingénieurs vont les accompagner dans leur monastère pour s'occuper de l'ordinateur. Mais il ne se passe vraiment pas grand chose. Une idée sous-exploitée.
  • L'étoile. Un vaisseau explorateur dirigé par un scientifique jésuite va explorer les restes d'une supernova et trouve sur place l'héritage d'une civilisation disparue. Comment Dieu pourrait-il créer une supernova et ainsi détruire une planète habitée par une race intelligente ? Le thème de la religion est cette fois fort bien exploité.
  • Supériorité. Une guerre galactique perdue par obsession du progrès technologique, alors que l'adversaire se débrouille très bien avec son armement antique mais facile à produire en masse. Une chouette idée qui tire un peu en longueur, car on comprend très vie où Clarke veut en venir, mais la chute est encore un fois bien amenée.
  • Le mur de ténèbres. Sur une planète exposant toujours le même coté à son soleil, seule une portion limitée de terrain est habitable entre un océan de flammes et un autre de ténèbres. Et à la frontière du coté sombre se cache un mur, un énorme mur infranchissable qui entoure toute cette partie de la planète. Il doit cacher quelque chose d’extraordinaire, non ? Plus ou moins. Clarke joue bien avec les attentes du lecteur comme celle de ses personnages. 
  • Avant l’Éden. Sur un pôle de Vénus, deux explorateurs vont découvrir la vie. Puis vont la détruire par inadvertance. Un très bon récit d'exploration au ton ironique.
  • Un été sur Icare. Un autre récit d'exploration spatiale très réussit. Pour s'approcher du soleil, une mission scientifique utilise l'ombre fournie par un petit astéroïde. Mais il suffit d'une panne malencontreuse pour ne plus pouvoir se déplacer et voir venir vers soi lentement mais surement un lever de soleil mortel. Qui sait, peut-être que Danny Boyle a lu cette nouvelle avant de réaliser l'excellent Sunshine. 
  • Le réfugié. Le roi d’Angleterre s'invite sur un vaisseau. Nouvelle qui tombe un peu à plat.
  • La sentinelle. La nouvelle qui est à l'origine de 2001 ! Lors d'une ballade de routine sur la Lune, des explorateurs tombent sur un étrange monoli... ha non, une étrange pyramide, en fait. C'est très amusant de voir que Clarke avait déjà toute la base de 2001, ou presque, dans cette petite nouvelle de 1948.
Finalement, Clarke est un nouvelliste tout à fait respectable. On retrouve en condensé les thèmes qui occupent les quelques romans que j'ai eu l'occasion de lire (2001, 2010, Rama), à savoir l'exploration de l'inconnu et le premier contact, avec une écriture très fluide. Dommage que la nouvelle qui donne son nom au recueil soit l'une des deux seules à être décevantes.

120 pages, Librio

lundi 28 mars 2016

La Machine s'arrête - E.M. Forster


La Machine s'arrête - E.M. Forster

Cette nouvelle publiée en 1909 semble d'une modernité frappante. On y croise tous les codes de la dystopie. Une société homogène où l'Homme est servi par la Machine. Plus besoin de quitter son petit cocon souterrain, la Machine apporte tout ce qu'il faut : nourriture, soins, musique... Les hommes sont donc isolés physiquement mais communiquent en permanence grâce à quelque chose qui ressemble fort à... internet. Parler instantanément à n'importe qui, donner des conférences virtuelles suscitant (ou non) des applaudissements qui ressemblent à des like, on est en territoire familier. Et quand une conférence donnée ne récolte pas assez d'applaudissements/like, le désir de mort se présente calmement. La même obsession d’approbation sociale qui frappe certains utilisateurs de réseaux sociaux. Puis, venant ruiner ce confortable état des choses, un personnage ressent l'appel du corps, de la vie ancienne, à l'air libre. S'ensuit donc une petite aventure à la surface, qui n'est bien vue par la Machine et ses serviteurs, non, pardon, ses créateurs. Et pour finir, tout s’effondre, la Machine s’éteint et avec elle la société qui se reposait sur elle.

La Machine s'arrête est un petit texte fort intéressant. Sans la fin apocalyptique, on pourrait croire à une préquelle de Matrix. Cette question de l'humanité maitrisant la technique mais perdant du même coup sa force vitale est un problème qui revient souvent dans la fiction du dernier siècle. Wall-E, Idiocracy ou Le Congrès sont quelques exemples récents qui me viennent en tête. Forster est aussi préoccupé par le vieux problème chrétien, la séparation du corps et de l'esprit. Ainsi les personnages de ce récit sont obsédés par l'abstraction, les "idées" au détriment du corps, allant jusqu'à, à l'inverse des antiques spartiates, éliminer les bébés présentant des signes de développement physique trop important. Il n'est pas question non plus de regarder la réalité avec ses yeux, les sens ne peuvent etre consacrés qu'aux arts et pas à l’appréciation de ce qui est bas.

Mais comme souvent dans ce genre de récit, tout espoir n'est pas perdu. Il se pourrait qu'à l’extérieur, attendant patiemment la fin de la Machine, des hommes vivant à l'ancienne attendent leur heure. Foulant la terre, bronzant au soleil, travaillant de leurs mains. Quels barbares !

A noter la très pertinente postface, qui pose le contexte du récit puis explique et développe clairement ses thèmes.

J'entends une chose qui vous ressemble dans ce téléphone, mais je ne vous entends pas vous. C'est pourquoi je veux que vous veniez. Rendez-moi visite, afin que nous puissions nous voir face à face, et parler des espoirs qui occupent mon esprit.


110 pages, 1909, le pas de coté

samedi 26 mars 2016

Silo - Hugh Howey


Silo - Hugh Howey

Futur indéterminé. La surface de la Terre est inhabitable, corrosive et empoisonnée. Le silo est une sorte de bunker tout en hauteur accueillant les derniers représentants de l'humanité. Quelques milliers d'hommes et de femmes à la vie très structurée, ceux du haut ayant le pouvoir et ceux du fond s'occupant des machines. Cette organisation sociale fait un peu penser au Transperceneige, même si l'on est loin d'atteindre le niveau d'inégalité qui règne dans ce train. Le roman commence par une nouvelle autonome, qui pourrait se suffire à elle-même, mais grâce à son succès Hugh Howey a pu la poursuivre et en faire un roman (et deux autres d'ailleurs). Cette structure ne pose aucun problème, c'est un peu comme une grosse introduction.

Le silo en lui-même est une réussite. Même si une partie du roman fait un peu trop visite guidée, on se laisse prendre avec plaisir à la découverte de cet environnement et de son son organisation sociale. On n'est pas dans une dystopie, mais presque. L'écriture est simple et prenante, du genre sans style mais qui peut accrocher facilement pour des sessions de lecture d'une centaine de pages à la fois. Toute l'aventure contient son lot de surprises, de personnages variés et de diverses aventures.

Mais beaucoup de choses m'ont posé problème. Déjà, le coup du dernier bastion de l'humanité qui se révèle en fait ne pas être le seul, bon, ce n'est pas la première fois qu'on me fait le coup depuis Fondation. C'est même un cliché du genre (tiens, autre occasion de citer le Transperceneige). Pas mal de choses sont prévisibles. Oh, l’héroïne se prépare pour une longue session de plongée sous des tonnes d'eau, laissez moi deviner, elle va manquer d'air et remonter en catastrophe. Et oui, c'est bien ce qui se passe. Et le méchant tue des gentils pour prendre le pouvoir, mais ne vous en faites pas, il va payer à la fin. Et plus grave, c'est à mon sens toute la base du roman qui ne tient de pas debout. Disons que tous les problèmes du silo viennent d'un tas de mensonges qui, quand ils sont découverts, poussent les gens à tout casser parce qu'ils n'aiment pas qu'on leur mente, logique. Mais le problème, c'est qu'on nous affirme à plusieurs reprises que les créateurs des silos ont tout bien pensé et organisé pour qu'un minimum de problèmes se posent. Et ils ont apparemment décidé qu'il valait mieux mentir à tout le monde et se préparer à des conflits violents réguliers plutôt que de leur dire tout simplement « ok tout le monde, nous sommes les derniers survivants de l'humanité, à nous de préserver la vie humaine et son héritage culturel ». Mais pourquoi ? Est-ce que éduquer les gens autour de cette idée ne créerait pas au contraire une motivation, un but d'une importance capitale qui encouragerait une résolution pacifique des problèmes éventuels ? Dans le même ordre d'idée, pourquoi créer des dizaines de silos et les priver de tout contact entre eux ? Si l'un échoue, les autres seront toujours là, certes. Mais des sociétés de milliers d'individus isolées les unes des autres pendant des siècles ne peuvent pas manquer de diverger sur le plan du langage, de la culture, du système politique, de la religion... Et ainsi elles ne manqueraient pas d'entrer en conflit les unes avec les autres une fois de retour à la surface après 500 ou 600 ans de séparation. Allez, un dernier exemple. Un élément central de la vie au silo consiste à envoyer à l'air libre des rebelles potentiels nettoyer les caméras qui permettent de garder un œil sur l'extérieur, puis de les laisser crever, le tout avec un complexe système de manipulation que je ne vais pas décrire. Mais ces rebelles potentiels ne le sont que parce qu'ils vivent dans un environnement plein de mensonges ! Si la très simple vérité était expliquée et répendue, il suffirait d'envoyer quelqu'un nettoyer les caméras en sécurité dans une combinaison... et de le faire revenir. Sans tuer personne. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi qui que ce soit choisirait tous ces systèmes compliqués et voués à créer de de la violence plutôt que la simple vérité, qui serait une puissante motivation. Mais bon, je ne suis pas anthropologue.

Bref, je ne peux pas dire que Silo soit mauvais, loin de là. Je l'ai dévoré sans déplaisir en quelques jours. Mais il y a suffisamment de problèmes en tous genres pour que ce soit une lecture un peu frustrante. A vrai dire, ce roman m'a donné l'impression d’être un lecteur désenchanté. Je vois les grosses ficelles et les failles logiques. Je me demande quelle aurait été mon opinion sur ce roman si je l'avais lu adolescent, il y a 7 ou 8 ans.

558 pages, 2011, Actes Sud

vendredi 25 mars 2016

Feu Pâle - Nabokov


Feu Pâle - Nabokov

Feu Pâle est un roman assez unique dans sa forme. On commence par une introduction de Kimbote, commentateur fictif du tout aussi fictif Shade, auteur du long poème Feu Pâle qui vient ensuite. Et pour finir, le gros morceau : le commentaire de Kimbote à ce poème. Enfin, appeler ça un commentaire, c'est aller un peu loin. Kimbote s'approprie totalement le poème qu'il est sensé commenter pour écrire sa propre œuvre. On alterne principalement entre trois fils narratifs : l'amitié de Kimbote et de Shade pendant les derniers mois de la vie du poète, le parcours de son assassin, et la vie d'un roi déchu de la Zambla, petit pays des Balkans. Et bien entendu, ces trois fils se mêlent progressivement.

Nobokov s'amuse. Son narrateur ne manque pas d'égo et il est difficile de discerner ce qui relève de la réalité ou de ses fantasmes. Est-il vraiment ce roi en exil ? N'exagère-t-il pas énormément son amitié avec Shade ? Il multiplie les pointes agressives envers ses confrères du petit monde de la littérature, et tout respire le conflit et la mesquinerie. L'histoire en elle-même n'est pas toujours passionnante, surtout un peu avant la fin, mais l'écriture de Nabokov fait que l'on est souvent emporté par sa fluidité. Et ce qui est une incontestable réussite, c'est, comment dire ? Le jeu littéraire. Cette parodie de commentaire où Kimbote se base sur le poème de Shade pour raconter sa vie semble faire écho à tous les commentateurs bien réels, qui peut-être ne voient dans les textes que ce qu'ils y mettent. Comme si tout commentaire potentiel ne pouvait parler que de celui qui l'écrit et pas vraiment de ce sur quoi il est écrit. Feu Pâle déborde d'habilité. Un roman presque plus impressionnant que plaisant, comme une démonstration de maitrise.

330 pages, 1961, Folio

jeudi 24 mars 2016

Les Fruits d'Or - Nathalie Sarraute


Les Fruits d'Or - Nathalie Sarraute

De la littérature qui parle de littérature, et dans un style d'une opacité volontaire. Au premier contact, ce n'est pas très engageant. Pas de personnages identifiables, rien de ce qu'on pourrait appeler une histoire. Juste des discussions entre gens du monde littéraire, faisant partie de petits cercles pour lesquels la chose la plus importante est de savoir si tel ou tel roman est bon ou non. Et tout avis contraire à celui de l'opinion générale est un danger, un risque d’ostracisation. Sarraute parodie fort bien ce milieu. Au delà de la simple moquerie, de vraies questions sont abordées : que signifie vraiment aimer un livre ? Comment exprimer et expliquer ce sentiment de plaisir, cette promiscuité avec le texte ? Est-ce même possible ? Autre élément, ce que Sarraute appelle, je crois, les tropismes : ces petits détails apparemment insignifiants de vie sociale quotidienne qui peuvent avoir une grande importance. Du coup, les personnages (le mot n'est pas vraiment adapté) en font des tonnes pour pas grand chose. Les Fruits d'Or est souvent assez pénible à lire, on a l'impression d'une littérature d'érudit qui s'adresse à d'autres érudits tout en parlant d'érudits. A moins qu'une bonne partie d'entre eux ne soient que des imposteurs..? Bref, un bouquin aride et un peu exaspérant, mais il faut reconnaitre que Sarraute a une vraie vision, qui mérite peut-être qu'on s'y force un passage.

Petit extrait (parodie de discours critique) :

- Il y a là un envol qui abolit l'invisible en le fondant dans l'équivoque du signifié.
- Nous sommes bien d'accord. Ainsi une dimension intemporelle se trouve ici dissoute dans le devenir d'une thématique. Par là, cette œuvre est jusque dans ses couches les plus structurées un poème.
- Bien plus : je dirai que c'est en appréhendant simultanément l’inexprimé en des modes différents que cette œuvre échappe à la pétrification du structuré. Par là, elle se déploie - et de quelle façon! - et, littéralement, nous comble.


158 pages, 1963; Folio

samedi 5 mars 2016

Jouvence - Aldous Huxley


Jouvence - Aldous Huxley

J'aime penser que les personnages de ce roman sont des personnifications de divers aspects de l’esprit de Huxley. Le riche et puissant Stoyte, émotionnel et colérique, terrifié par la mort, vivant avec ses employés et domestiques dans sa grande maison. Pordage, l’intellectuel littéraire venu chez Stoye examiner un tas de vieux livres, ne parlant presque que par citations, aussi cultivé que soumis à sa mère et attaché à ses habitudes. Propter, le sage un peu mystique, menant une vie simple, qui cherche à comprendre le monde et à le changer. Obispo, le scientifique cynique recherchant pour Stoyte une cure à la mort, ne croyant en rien si ce n'est en ses désirs. Pete, son assistant, encore jeune et idéaliste, naïf mais plein de potentiel. Et Virginia, la jeune concubine de Stoyte, qui lutte entre ses quelques idéaux et la réalité de la vie sensuelle.

J'ai l'impression de dire toujours la même chose en parlant de ces romans de Huxley qui mettent en scène une troupe de personnages dont on suit les bavardages ou rêveries. On nage entre les genres, il y a une trame romanesque, avec amour, jalousie et mort. Il y a quelque chose qui ressemble à de la science fiction à travers cette thématique de l'immortalité. On est plein roman psychologique quand on suit les longs processus de pensée des protagonistes. Les monologues de Pordage nous font croire qu'on lit un recueil d'essais. Les caractères des personnages sont tracés à si gros traits et l'auteur est si impitoyable avec eux que c'en est satirique. Avec tant de variété, l'ensemble est un peu hétérogène. Mais après un passage légèrement ennuyeux on plonge ensuite dans un autre absolument passionnant. On a une impression d’œuvre complète, qui fait tout et le fait bien. Et qui finit sur un éclat de rire devant la peur de la mort.

433 pages, 1939, le livre de poche, titre original : After Many a Summer