mardi 30 juin 2015

Mysterium - Robert Charles Wilson


Mysterium - Robert Charles Wilson

J'ai lu ce livre presque d'une traite pendant une journée de train. Du coup, j'ai un peu de mal à savoir si je l'ai dévoré parce que je n'avais rien d'autre à faire ou parce qu'il me plaisait vraiment.

On retrouve le style classique de Robert Charles Wilson : un fond relevant de la science fiction laisse place au drame humain. Et comme dans Blind Lake, ces deux éléments ne sont pas entièrement convaincants. Le coté SF est à peine survolé. Ce n'est pas un simple prétexte, puisque dès le premier chapitre on assiste à la découverte d'un étrange artefact que l'on pourrait imaginer devenir le centre du récit. L'artefact est la cause du déplacement de la petite ville de Two Rivers dans une dimension parallèle, mais lui-même sera un peu laissé de coté. Vers la fin Wilson tentera d'aborder des sujets très SF, notamment la notion de démiurge, mais c'est fait tellement légèrement, juste en passant, qu'on ne peut que se sentir un peu frustré. Le personnage principal a quand à lui cette caractéristique assez déplaisante d’être défini principalement par un seul et unique drame dans sa vie passée. Encore une fois c'est un peu léger.

Bref, c'est un peu les mêmes défauts que dans Blind Lake. Mais si Mysterium reste un bouquin fort plaisant, c'est que son intérêt est ailleurs : une petite ville plongée dans un environnement nouveau et hostile. Wilson a eu la bonne idée de ne pas faire de ce nouveau monde un désert, ni même de le remplir de monstres. Cette Terre parallèle est peuplée par des humains qui ont connu une Histoire différente, notamment sur le plan religieux. Aussitôt son apparition découverte, la petite ville de Two Rivers et ses habitants aux coutumes étranges sont placés sous la surveillance de l'armée et des Proctor, la police religieuse locale. Finalement, Mysterium est dont avant tout un récit d'occupation. Et sur ce plan Wilson réussit bien. Les tensions religieuses et culturelles, les inévitables liaisons qui pour certains relèvent de la collaboration avec l'ennemi, le couvre-feu qu'il est si tentant d'outrepasser, la conspiration pour tenter de s’échapper, les tickets de rationnement ... Tout cela renvoie évidement à une période bien précise de notre histoire, mais Wilson apporte suffisamment de variations pour demeurer pertinent. Et dans ce contexte l'arrière plan SF passe fort bien même s'il n'est pas très développé. Du coup, Mysterium m'a surpris là où je ne l’attendais pas. Par contre, je ne sais pas si j'aurais autant accroché au livre si je l'avais lu dans un autre contexte plus propice à la distraction ...

316 pages, 1994, J'ai Lu

vendredi 5 juin 2015

Au tréfonds du ciel - Vernor Vinge


Au tréfonds du ciel - Vernor Vinge

Il y avait longtemps que je n'avais pas lu un gros pavé de SF avec autant d’enthousiasme. Déjà, ce qui saute aux yeux, c'est que Vernor Vinge écrit bien. Vraiment très bien. Je venais juste avant d'abandonner L'arche de la rédemption d'Alastair Reynolds au bout de 400 pages, et bien la comparaison n'est pas flatteuse pour ce dernier.

Dans le futur décrit par Vinge, l'humanité à certes colonisé de nombreux systèmes, mais n'a jamais pu dépasser un tiers de la vitesse de la lumière. Et du coup, les différents mondes sont séparés par des centaines voir des milliers d'années de voyage. Et ces civilisations, une fois un certain développement atteint, sombrent dans la régression. Échappant à ces cycles, les Qeng Ho sont des commerçants protégés de la sclérose par leur mobilité. Dans ce contexte, voilà qu'un beau jour s’organise une expédition Qeng Ho vers une étoile qui a l'étrange propriété de s’éteindre pendant 215 ans avant de se rallumer pendant 35 ans. De ce système à priori extremement inhospitalier semblent provenir des signaux radio, signes d'une civilisation non humaine venant juste d'atteindre l'ère de l'information. Et au même moment une autre flotte se dirige au même endroit : les Émergents, une civilisation humaine sortie depuis peu d'un age de ténèbres et au système politique à priori peu conciliable avec le libéralisme intéressé des Qeng Ho.

On a en gros trois récits qui s’entremêlent.
  • Le principal est celui de la cohabitation des Qeng Ho et Émergents. Ces deux civilisations vont rapidement se mettre sur la gueule avant de devoir cohabiter pour essayer de survivre avec des ressources très limitées. Une sorte de régime totalitaire Émergent se met en place, et c'est la paranoïa totale. Avec une technologie avancée, les moyens de surveillance sont presque capables de lire dans les esprits. Comment monter une révolte dans ces conditions ? Les Émergents ont aussi un système d'esclavage très particulier. La focalisation : transformer une personne en une sorte de machine humaine obsédée par un sujet et ultra performante. Chaque civilisation doit tolérer l'autre, et ceux qui trouvent l'esclavage répugnant vont pourtant devoir vivre pendant des décennies en l'utilisant au quotidien ...
  • Vient ensuite le point de vue des araignées, les non humains du système. On assiste sur plusieurs dizaines d'années au progrès de leur civilisation principalement du point de vue d'une seule famille. L'ambiance est étonnamment militaire et patriotique. En fait, on se croirait vraiment en pleine guerre froide de notre vingtième siècle. Avec une particularité : les araignées tentent de domestiquer la Ténèbre : cette période de 215 ans pendant laquelle ils se mettent en stase dans les sous-sols en attendant que leur soleil se réveille, rendant la vie à leur planète. A cause de cette particularité, leur race est attirée plus par le sol que par le ciel ... Et quel délice d'assister à un premier contact du point de vue d'une civilisation non humaine !
  • Le récit le plus mineur est celui d'un très vieil héros Qeng Ho, Pham, qui s'est incrusté incognito dans la flotte d'exploration. On a droit à de nombreux flashbacks de son passé, et ce sera les seuls moments du livre où l'on aura l'occasion de sortir du système. Pham avait l'ambition de créer un empire galactique, d'unifier les dispersés Qeng Ho. Mais face aux colossales distances entre les planètes, son génie ne peut pas faire de miracles.
J'ai passé bien trop de temps à expliquer les prémices de l'histoire, mais Au tréfonds du ciel est un roman de presque mille pages, très dense. Et c'est une réussite totale. On peut lui reprocher quelques détails, comme de petits trous scénaristique, ou un certain manichéisme. En effet, il y a clairement des méchants et des gentils, aussi bien sur la planète des araignées que chez les humains. On tremblera d'indignation devant la perfidie des méchants et on soutiendra de tout notre cœur les gentils. Mais finalement cet aspect n'est pas trop gênant car Vinge sait créer des personnages à la psychologie complexe. Tous sont crédibles et intéressants, sans exception. Les "méchants" ne le sont pas gratuitement, mais parce qu'ils obéissent à des systèmes de croyance qui selon nos normes sont inacceptables, ou parce que justement ces systèmes dans lesquels ils ont grandit tendent à donner l'avantage aux gens dépourvus de scrupules moraux.

Au tréfonds du ciel, c'est de la SF de haute volée. C'est bien écrit, ça déborde d'idées. Ce futur n'a pas d'IAs, pas de vitesse supra-luminique, pas d'immortalité. Les rêves de l’humanité s’évanouissent et les civilisations sont éphémères. Ce qui n’empêche pas les différentes visions de se heurter, chacune luttant pour sa survie ou ce qu'elle croit juste. On est loin de l’indifférence des humains de la Culture.  Un roman totalement brillant.

— Le Qeng Ho est un empire, dit le jeune garçon.
Il contemplait les étoiles en essayant d'imaginer comment ces territoires pourraient se comparer au royaume de son père.
— Non, pas un empire, dit Sura en riant. Nul gouvernement ne peut se maintenir à des années-lumières de distance. La plupart ne durent pas plus de quelques siècles. La politique peut subir des éclipses, mais le commerce dure éternellement.

983 pages, 1999, le livre de poche