jeudi 29 octobre 2015

Les Souffrances du jeune Werther - Goethe


Les Souffrances du jeune Werther - Goethe

Le jeune Werther n'est pas la personne idéale avec laquelle échanger une correspondance épistolaire. Dans toutes ses lettres à son ami Wilheim, il ne fait que se plaindre. Il rencontre Charlotte, la femme parfaite, il l'aime, mais elle est déjà engagée, alors il souffre. Et il se plaint, se lamente, se désole et s’apitoie sur son sort. Et pour finir, il se suicide. Autant dire que ce personnage est assez exaspérant. Les passages les plus intéressants sont ceux où il tente de s'intégrer dans le monde. Dans l'Allemagne du dix-huitième siècle, l'étiquette des gens de la haute société est fort rigide, et un esprit libre comme Werther ne peux manquer de s'y sentir à l'étroit. Dans ces moments, on comprend Werther et ses ambitions d'idéaliste. Le reste du temps, il ne semble qu'un gamin trop immature pour voir plus loin qu'une déception amoureuse, et qui du coup embête tout le monde, et pire, compromet avec son suicide même le bonheur de celle qu'il aime. Pourquoi n'est-il pas allé se suicider discrètement dans un coin tranquille de cette nature qu'il aime tant plutôt que de faire peser sur Charlotte et son mari la responsabilité de sa mort ?

De cette exploration du moi si sensible de Werther, on retiendra surtout quelques petits passages qui parviennent à exprimer le mal de vivre de ce type de personnage rêveur et passionné.

L'espèce humaine est singulièrement uniforme. La plupart travaillent une grande partie du temps pour vivre, et le peu de liberté qu'il leur reste les effraie à ce point qu'ils s'efforcent par tous les moyens de s'en débarrasser. 

Quel changement ! En ce temps-là, plein d'une heureuse ignorance, j'aspirais à m'élancer vers ce monde inconnu où j'espérais trouver assez de nourritures et de jouissances de coeur pour remplir et satisfaire ma poitrine débordante de désirs. Maintenant, je reviens du vaste monde  — O mon ami ! que d'espérances déçues ! que de plans renversés ! 

190 pages, 1774, le livre de poche

mercredi 28 octobre 2015

Les croix de bois - Roland Dorgeles


Les croix de bois - Roland Dorgeles

Comme on pourrait s'y attendre de la part d'un roman sur la Grande Guerre écrit par quelqu'un l'ayant vécue, Les croix de bois n'est pas très joyeux. Il y a même quelques moments vraiment durs. Outre les descriptions des soldats errant dans les tranchées au milieu des cadavres, il y a notamment cette scène de bombardement, où l'escouade que l'on suit doit tenir sa position dans un trou d'obus sous le feu de l'artillerie. Petit à petit, les hommes meurent, et leurs cadavres sont empilés pour servir de protection aux autres. Mais pas une pile trop haute, pour ne pas se faire repérer. Et cet autre passage, où les hommes entendent sous le trou qui leur sert de logement dans la tranchée des bruits de pioche : les Allemands creusent un tunnel pour tout faire sauter par en dessous. Ils préviennent bien sur leurs supérieurs, mais les ordres sont de rester malgré tout ... Et nos poilus doivent rester là pendant des jours, essayer de dormir en entendant la mort se rapprocher lentement sous leurs pieds ...

On pourrait continuer longtemps à évoquer les passages marquants de ce roman, il en est presque une succession. Il n'y a pas vraiment de trame, chaque chapitre est un fragment de la vie d'un petit groupe de soldat. Il n'y a également jamais de dates, et l'on ne sait pratiquement pas où l'on se trouve. Tout est englobé dans le grand flou de la guerre. Les soldats s'habituent, et nombreux sont les moments où ils rient et s'amusent, allant jusqu'à parodier la guerre, la tournant en dérision. Ils rigolent en se demandant quelle partie de leur corps ils donneraient pour être démobilisé ... Une jambe ? Un œil ? Puis ils retournent au front, «comme des bêtes».


284 pages, 1919, le livre de poche

samedi 17 octobre 2015

Récits de SF - Rosny Ainé (Un autre monde, Les Xipéhuz ...)


Récits de SF - Rosny Ainé (Un autre monde, Les Xipéhuz, Dans le monde des variants  ...)

Cette anthologie consacrée à Rosny Ainé est très dense, écrite en caractères particulièrement petit, du coup je vais faire son compte rendu en plusieurs fois. Sont également présents Les navigateurs de l'infini, La mort de la Terre et Le cataclysme, textes déjà lus dans un autre recueil, que je vais donc passer sous silence ici. 
  • Un autre monde (1895). Dans à peu près tout ce que j'ai pu lire de lui, Rosny semble fasciné par l'idée d'univers parallèles, même s'il n’emploie pas ce terme. Disons de différentes formes de vie vivant plus ou moins sur le même plan mais ne pouvant avoir aucune interaction, ne se percevant pas. Or, dans cette nouvelle, le narrateur est un être très particulier. Il a la peau violette, les yeux anormaux, un organisme extremement rapide se nourrissant principalement d'aclool, voilà qui semble déjà suffisant pour en faire un exclu. Mais surtout, il a la capacité de voir cet autre monde : à ses yeux seuls s'offre le spectacle de ce règne animal invisible pour le commun des mortels. Ces créatures vivent, se battent, se déplacent ... Et pour manger, elles ne s'abaissent pas à manger leur prochain, non, elles absorbent leur énergie et laissent leur proie en vie. Ce détail est important, Rosny, dans son œuvre, semble en effet vouloir tendre vers un idéal loin des faiblesses du corps. Bref, notre narrateur comprend que s'il veut échapper à la solitude et l'ennui d'une vie de berger, il doit se diriger vers la ville et devenir ... un cobaye. Plutôt amusant quand on pense au cliché moderne de l’être exceptionnel fuyant les hommes de science justement pour ne pas devenir un cobaye. Finalement, il trouve le savant de ses rêves, et ensemble ils vont explorer les mystères de cet autre monde. Cette nouvelle est remarquable de deux façons. Tout d'abord, c'est une excellente histoire de jeunesse. Un jeune homme intelligent et solitaire cherchant sa voie dans la campagne, on pense presque à Hermann Hesse. Ensuite, c'est, il me semble, un point remarquable dans la naissance de la science fiction : Rosny imagine en effet un monde obéissant à une autre science, à d'autres loi. Ce texte a probablement inspiré Maurice Renard pour L'Homme truqué (1921).
  • Le jardin de Mary (1895). Un tout petit texte très poétique sur la mort d'une jeune femme. Encore une fois, on sent l'espoir de la proximité d'autres mondes.
  • Dans le monde des variants (1939). Un thème extremement proche de la première nouvelle de ce recueil, bien qu'écrit 44 ans plus tard. On retrouve un jeune homme fort particulier, Abel, qui a la capacité de percevoir un univers parallèle. Mais contrairement au narrateur d'Un autre monde, Abel peut vivre à a fois dans le plan humain et le plan des variants, comme il appelle les créatures de cette autre dimension. La thématique du corps est plus que jamais présente. Abel expérimente l'amour des humains et des variants, la première n'est que plaisir de la chair, l'autre est délice de l'âme. Et l'on sent que Rosny, comme dans Les navigateurs de l'infini, est attiré par cet idéal de communion et de pureté qu'il décrit avec habilité. Il a vraiment l'air septique envers les possibilités de l'amour terrestre ...
  • Les Xipéhuz (1887). Une nouvelle particulièrement intéressante qui n'est pas sans évoquer La mort de la Terre. Dans un passé lointain, une proto-civilisation entre en contact avec une forme de vie nouvelle, les Xipéhuz. Et rapidement, il s'avère que l'humanité va devoir se battre pour survive. On a droit à quelques scènes de bataille assez épiques, mais le plus intéressants concerne le point de vue choisi. Ces hommes encore pour la plupart nomades vont devoir prendre conscience d'eux-mêmes en tant qu'espèce. Et plus particulièrement, le personnage de Bakhoûn est fascinant. Sorte de philosophe antique, en avance sur son temps, c'est lui qui va prendre en charge la lutte contre les Xipéhuz. Il commence par les étudier par un processus absolument scientifique, en effectuant observations et expériences, puis il applique ses découvertes à la stratégie militaire. Et l'on sent la peine qu'a le sage à devoir éradiquer une forme de vie intelligente, sans avoir jamais pu communiquer avec elle, ou même la comprendre juste un peu.
  • Nimphée (1893). Cette nouvelle assez longue est de loin la plus ennuyeuse jusqu'à maintenant. Lors d'une expédition dans des contrées mystérieuses, le narrateur va rencontrer une race fort sympathique d'hommes amphibies. Puis sa fiancée se fait capturer par une autre tribu, et il court à sa recherche en se lamentant. Il ne cesse d'insister sur la beauté de sa copine, sa pureté, sa douceur, sa vulnérabilité, sa féminité ... C'est un peu lourd. Et surtout il ne passe pas grand chose d'intéressant, le coup de l'amoureuse enlevée, il n'y a rien de plus éculé. Reste les paysages exotiques et l'idée d'humanités parallèles ayant subies des évolutions différentes en fonction de leur environnement.

jeudi 15 octobre 2015

Molloy - Samuel Beckett


Molloy - Samuel Beckett

Le genre de livre qui me laisse un peu perplexe et dont il ne m'est pas facile de parler. Au début, le récit de Molloy, vieux vagabond dépressif et ruiné physiquement, m'a profondément ennuyé. Beckett a une plume absolument brillante, mais c'est un peu le problème. Tous ces jeux de langage, toutes ces subtilités d'écriture, le tout saupoudré d'humour scatologique, ce n'est pas ça qui rend le récit intéressant, du moins au début. Par exemple ce passage où, pendant des pages entières, Molloy raconte comment il range ses pierres à sucer. C'est écrit avec un talent remarquable, certes. Mais, c'est plus fort que moi, je m'en fous complétement, et je n'arrive pas à lire plus de quelques lignes sans que mon esprit dérive.

Mais, petit à petit, Beckett est plus ou moins parvenu à me happer. La seconde partie du roman, où la parole est donnée à un autre narrateur, Moran, m'a semblé plus intéressante. Contrairement à Molloy, qui part du rien pour aller vers le rien, Moran est un homme très carré avec une vie rangée qui va petit à petit s’effondrer vers le néant. Beckett multiplie les indices pour que le lecteur sente que ces deux personnages n'en font qu'un, s’entremêlent. Molloy est la bête, l'individu absolument isolé livré au chaos, et Moran, qui va à la messe par pure habitude et tente d'éduquer son fils avec une certaine violence, est l'ordre de la civilisation. Et les deux personnages, petit à petit, perdent tous leurs moyens, refusent toute interaction constructive avec autrui, refusent de prendre soin d'eux-mêmes, et finissent par ramper dans la forêt et revenir à leur point de départ. Seuls, abandonnant les hommes, abandonnant leur corps. Becket écrit le vide, le néant. Je reste sceptique.

241 pages, 1947, éditions de minuit

mardi 6 octobre 2015

Les hommes frénétiques - Ernest Pérochon


Les hommes frénétiques - Ernest Pérochon

Encore un roman qui prévoit l'autodestruction de l'humanité. Dans un millier d'années, après un long âge sombre, la science a finalement triomphé. Il n'y a plus de nations, plus de religion, et plus de soucis d'énergie. Mais, évidement, cela ne saurait durer ... Le lecteur suit un couple de scientifiques  aux prises avec la stupidité des hommes, mais, la plupart du temps, le narrateur omniscient se contente de décrire l'évolution de la situation politique de la planète. Et souvent ce n'est pas très passionnant, les motivations de chaque groupe étant plus que floues. De plus, le ton semble parfois d'un autre âge. On trouve souvent des termes comme « élite », « masses », « race blanche », « jaunes », « nègres », « mulâtres » ... Rien de bien méchant si l'on se place dans le contexte (1925), mais parfois on ne peut s’empêcher de soupirer d'un air navré.

Mais malgré quelques éléments dépassés et certains passages franchement ennuyeux, Les hommes frénétiques a beaucoup de choses à offrir. Cette vision du futur regorge d'inventivité : réseau de communication mondial, drones, terrorisme, armes de destruction massive, passages qui semblent préfigurer le genre zombie, rapport ambigu à la science et à la religion ... Les descriptions des scènes de carnage dues aux armes chimiques sont renversantes, avec une folle variété de mutations physiques et psychologiques. Plus que jamais, la guerre est sale, la guerre est moche. Et cette fin qui aurait pu être ridicule (remake de la genèse : deux innocents recréent une société du genre préhistorique) passe étonnamment bien, car le roman dans son ensemble ne semble pas prendre parti de façon trop évidente. Il y a certes un coté optimiste, une nouvelle chance, mais au fond, tribu sans langage ni technologie ou gouvernement mondial scientifique, finalement, bof, quelle différence ... On sent que l'histoire risque de se répéter.

Bref, Les hommes frénétiques est plus que digne d’intérêt. Comme d'autres, Pérochon, sous l’influence des horreurs de la première guerre mondiale, livre une vision du futur qui, comme l'indique de façon fort peu subtile la couverture de cette édition, mérite probablement de faire partie des « grands classiques de la SF française ».

245 pages, 1925, bibliothèque marabout

samedi 3 octobre 2015

Quinzinzinzili - Régis Messac


Quinzinzinzili - Régis Messac

Au début du témoignage de Gérard Dumaurier, le narrateur, on se croirait presque dans un roman de Jacques Spitz : on y retrouve une guerre à échelle planétaire dans laquelle l'humanité fait preuve de sa stupidité mais néanmoins rivalise d'ingéniosité pour ce qui est des façons de s’exterminer. Pour faire le lien entre les deux auteurs, on a aussi des parodies de déclarations politiques assez savoureuses. Mais cette guerre n'est que l'introduction du roman. Il se trouve que cette fois, c'est la bonne : plus d'humains sur notre petite planète. Tous exterminés. Fini.

Quoi que ... En visite dans une grotte avec un groupe de gamins, Dumaurier s'en est sorti, par miracle. Mais tout d'un coup le monde n'est plus que ruine. Tout est ravagé, il s'agit de survivre. Et ils survivent, les gosses et lui. Les années passent, les vêtements tombent en morçeaux, et les enfants approchent dangereusement de la puberté ... Et ce n'est pas joyeux, oh non, c'est sombre, très sombre. On lâche certes quelques sourires grinçants, mais le désespoir du narrateur est très communicatif. Il ne s'agit pas reconstruire une société dans la nature, mais plutôt de plonger à nouveau dans l'âge des cavernes. Dumaurier est comme Diogène, il cherche un homme, mais les gamins qui l'entourent sont plus proches des animaux. Alors il se moque d'eux et de leur petite société. Quinzinzinzili, notamment. C'est leur dieu, dont le nom vient de la déformation d'une vielle phrase de latin, vague souvenir de catéchisme. Tout leur langage est formé ainsi par des restes de français ou d'anglais.

Et Duraumier, dans tout ça ? Il essaie de les éduquer peut-être, de transmettre son savoir, sa culture ? Absolument pas, il est trop désespéré. Il hésite à se croire fou, enfermé dans un asile, plutôt que dans cette réalité encore plus démente. Régis Messac n'était pas un optimiste, mais son roman est un petit chef-d’œuvre de la SF française. Maitrise du langage, avec lequel il joue, maitrise de la narration, rapide et sans détours, et ton résolument moderne.

180 pages, 1935, l'arbre vengeur