lundi 21 avril 2014

Bruit de Fond - Don DeLillo


Bruit de Fond - Don DeLillo

Bruit de Fond, c'est une plongée dans la classe moyenne américaine. Une petite ville tranquille, une grande maison pleine de produits alimentaires aux emballages colorés, la télé ou la radio toujours allumées dans un coin. Quelques enfants d'ages variés issus de l'un des nombreux mariages des deux adultes, Jack et Babette. Jack, enseignant chercheur spécialiste d'Hitler, ayant toujours son exemplaire de Mein Kampf à portée de main, est le narrateur. A première vue, rien de bien extraordinaire dans ces vies. Si ce n'est le bruit de fond en question, qui n'est autre que la peur de la mort. Dès le début du roman les références sont multiples. Dans leur vie routinière pleine de sécurité, la mort à un visage bien particulier. Elle est à la télé, dans les médicaments, dans les radiations, dans les ondes diverses et variées. Elle est confuse, indéfinissable. Sauf qu'à l'occasion d'une énorme fuite de gaz toxique, on se retrouve en plein roman catastrophe et la mort devient bien plus claire, elle prend une forme très réelle, celle d'un gigantesque nuage noir de produits chimiques mortels. Auxquels Jack est exposé. Voilà qui ne risque pas d'arranger ses névroses. Sans parler de Babette, modèle de femme ouverte et attentionnée, qui pourtant semble accro à un étrange médicament.

Le thème de la peur de la mort est sans conteste au cœur du roman, mais aussi celui de l’omniprésence des médias : le bruit de fond, c'est aussi au sens propre le murmure de la télé et de la radio. Ces deux thèmes s'ancrent dans le contexte bien particulier de la typique amerian way of life, qui est aussi sujet à la critique de l'auteur, mais d'une façon bien particulière. En effet, le narrateur ne remet pas grand chose en question, il se complait dans un mode de vie qui pourtant ne le rend pas heureux, il est assez centré sur lui même et ses obsessions. Assez antipathique, même. D’ailleurs, à la fin, alors que la situation devient extrême, je me suis senti particulièrement détaché de lui, je ne le comprenais plus. Pas bien grave, puisque sur l'ensemble du roman cela permet un ton très agréablement original. Par exemple, en sortant du supermarché : « Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leur poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l’être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à tombée de la nuit. »

C'est grâce à ce genre de phrases, à ce point de vue à la fois si drôle et si tristement réaliste, que le roman m'a accroché. Don DeLillo a une écriture très saccadée : les paragraphes se succèdent parfois sans lien direct, les ellipses sont nombreuses, on a parfois des phrases brèves qui semblent en dehors du récit, des bruits de fond qui appartiennent à l'environnement médiatique et publicitaire. J'aime cette écriture, c'est vif et surprenant. Certains pourront trouver que Don DeLillo fait beaucoup de blabla. Dans un sens, c'est le cas. Il y a beaucoup de situations banales et de dialogues qui semblent un peu vain. Pourtant, c'est à chaque fois plein d'une délicieuse absurdité. Je pense notamment à ces dialogues surréalistes entre les universitaires collègues de Jack. Ils se posent des questions totalement aléatoires comme « Où étiez-vous quand James Dean est mort ? » ou « N'avez-vous jamais déféqué dans des toilettes où il n'y avait pas de siège ? », puis ils y répondent avec tout leur sérieux avant de passer à un autre sujet tout aussi insensé. Et c'est du même genre pour les conversations de famille. La communication semble la plupart du temps très limitée, et quand les personnages échangent vraiment, comme parfois entre Jack et Babette, c'est pour déterrer de nouvelles angoisses.

Bruit de Fond m'a semblé être un roman particulièrement glacial. Délicieusement glacial. Englué dans sa normalité, désespéré, Jack s’accroche pourtant comme un fou à sa vie, qui se partage entre angoisses nocturnes, maintient d'une image illusoire de lui-même à son travail, visites au supermarché et contemplation d'enfants incompréhensibles. Avec à l'occasion un nuage de produits industriels mortels, ou une simulation préventive de nuage de produits industriels mortels.

470 pages, 1985, Babel

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