lundi 24 mars 2014

Souvenirs de la maison des morts - Dostoïevski


Souvenirs de la maison des morts -  Dostoïevski

Souvenirs de la maison des morts est un roman à part dans l’œuvre de Dostoïevski, puisque ce n'est pas vraiment un roman. C'est plutôt une autobiographie romancée. Le début pose un prétexte romanesque assez classique : le manuscrit retrouvé. Mais l'on est pas dupe, Dostoïevski, à quelques détails près, livre ici ses propres expériences. Cela est confirmé si besoin est à la fin du volume par une lettre adressée à son frère qui relate plus ou moins les mêmes expériences. Il est d'ailleurs assez touchant de voir dans cette lettre Dostoïevski supplier son frère de lui envoyer des livres, toute lecture autre que la bible étant proscrite au bagne.

Sans véritable intrigue, le récit est chronologique, mais surtout thématique. L'arrivée au bagne, l’hôpital, le travail, les animaux, une évasion, et bien sur de très nombreux portraits de détenus. Ces derniers ont deux faces. Ils sont violents, méprisants, belliqueux, ignorants, et plus que tout ils rejettent les quelques nobles dont Dostoïevski fait parti. Ce rejet est un aspect central, on sent qu'il a particulièrement marqué l'auteur, qui voit sa bonne volonté confrontée à l'impossibilité de véritablement s'intégrer. D'un autre coté, sous la haine et la vulgarité ressort parfois l'humanité. Dostoïevski trouvera quelques compagnons, quelques amis peut-être. Mais même la masse des détenus s'illumine parfois d'une beauté enfantine (Dostoïevski compare beaucoup les détenus, dans leurs aspects positifs, à des enfants). Pendant une représentation théâtrale notamment, fruit d'un long travail, on sent la motivation des acteurs, l’excitation et l'enthousiasme des bagnards qui rient et se pressent en masse devant la scène. Le partage des aumônes est fait avec calme et justice, ce qui s’empêche pas les chacun de voler son voisin comme si c'était une chose tout à fait naturelle. Et parfois, à l'occasion d'un récit ou d'une bagarre, on se souvient que la plupart des hommes ici présent sont des tueurs, des meurtriers.

Si l'on ressent parfois l'injustice des punitions arbitraires du major dirigeant le bagne, il n'y a jamais vraiment de la part de l'auteur de rébellion ou de haine contre le régime qui l'a envoyé croupir en Sibérie. Le description du bagne souligne certes tout ce qu'il a d'horrible, mais on a presque l'impression que Dostoïevski est reconnaissant de cette occasion d'expier tout en apprenant à mieux connaitre son prochain (cette soumission est d'ailleurs le sujet de l'intéressante préface). Et au final, Souvenirs de la maison des morts est avant tout un document sur la vie au bagne et les bagnard en eux même, mais un document élevé par la prose et la sensibilité de Dostoïevski.

« Que faisons nous ici ? Nous sommes vivants sans vivre et morts sans être enterrés, pas vrai ? »

Un autre bagne/camp de travail russe, une centaine d'années plus tard : Une journée d'Ivan Denissovitch - Soljenitsyne

1862, 430 pages, Folio

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