samedi 30 novembre 2013

Le coin des fous - Jean Richepin


Le coin des fous - Jean Richepin

Publié en 1921, Le coin des fous contient 23 petites nouvelles (ou contes) parues originellement entre 1892 et 1900, et cette édition en propose quatre supplémentaires. Ces textes sont donc postérieurs de plus de 20 ans à ceux des Morts bizarres, et malheureusement, ce n'est pas pour le mieux. Là où le précédent recueil était frais, surprenant et très drôle, les textes rassemblés ici sont d'une facture bien plus classique. Pour commencer, ils ont tous les même format (environ 5 pages), et ce simple fait ne manque pas d'installer une certaine routine. Ensuite, par leurs thèmes mêmes, entre bizarreries, folie et fantastique léger, ils évoquent immanquablement Poe (on retrouve d'ailleurs plusieurs références au Démon de la perversité), mais en moins bien. Heureusement certains éveillent l’intérêt. Dans L'autre sens, un scientifique se lance dans un enseignement ésotérique pour atteindre un sens ultime (thème qui semble cher à Richepin). L'âme double nous présente un homme qui semble abriter deux esprits différents, voir plus. Un autre a son visage perpétuellement caché par Le masque, et son secret n'est pas une simple malformation physique. Quelques fort bons textes donc, mais la plupart s'oublient aussitôt lus. Un recueil décevant après les excellentes Morts bizarres.

175 pages, 1921, Séguier

jeudi 21 novembre 2013

Les morts bizarres - Jean Richepin


Les morts bizarres - Jean Richepin

« Les époux Guignard, mariés par amour, désiraient passionnément un fils. Comme si ce petit être tant souhaité voulait hâter l'accomplissement de leurs vœux, il vint au monde avant terme. Sa mère en mourut, et son père, ne pouvant supporter cette mort, se pendit de désespoir. »

Voilà qui pose le ton de ces douze petites nouvelles. Leurs héros sont des perdants, des médiocres, des misérables qui trouvent la mort au bout de quelques pages, non sans une bonne dose d'humour noir. Et c'est tout simplement brillant. On est tantôt amusé de ces malheurs, tantôt atterré, et parfois horrifié (il y avait longtemps que je n'avais pas lu une nouvelle aussi insoutenable que La machine à métaphysique). Qu'ils soient voleurs, meurtriers, excentriques, artistes ratés ou juste malchanceux, les vies et les morts des personnages sont de captivants échecs, drôles et tristes. Un petit chef-d’œuvre d'humour noir et d'horreur sociale.

172 pages, 1877, l'Arbre Vengeur

samedi 16 novembre 2013

Trois chemins d'écolier - Ernst Jünger


Trois chemins d'écolier - Ernst Jünger

«Ce qu'il y avait de plus beau dans l'école c'était le chemin qui y conduisait : aussi Wolfram l'aurait-il prolongé le plus longtemps possible. Mais il serait arrivé en retard, et arriver en retard, c’était grave.»

Le ton est posé dès les premières lignes : Ernst Jünger s'en prend à l'école. Dans l'Allemagne des années 1900 (environ), Wolfram est un enfant qui ne parvient pas à s'intégrer dans l'institution scolaire. A cause d'une tournure d'esprit plus tournée vers la pensée libre que l'apprentissage par cœur de faits arbitraires, et avec comme conséquences quelques troubles de comportement. Les trois chemins du titre correspondent à trois étapes de sa scolarité, chacune porteuse de problèmes. On peut supposer, si l'on se fie à l'époque à laquelle se déroule le récit, que Jünger s'inspire de sa propre jeunesse pour composer ce portrait d'un enfant troublé et inadapté à son environnement. Enfin pas inadapté à tout, puisqu'il se sent bien quand il lit la nuit sous ses draps ou quand il marche dans un parc, sur le chemin de l’école. Publié à titre posthume, Trois chemins d'écolier a été écrit en 1991, alors que son auteur, si mes calculs sont bons, fêtait ses 96 ans. Un vieil homme qui se tourne ainsi vers l'enfance et achève son dernier livre sur un pied de nez à l'institution scolaire, c'est un plaisir.

80 pages, 1991, Christian Bourgeois

lundi 11 novembre 2013

Le Brouillard - Henri Beugras


Le Brouillard - Henri Beugras

Isidore Duval n'avait pas envie de passer une nuit inconfortable dans le train, alors il est descendu à une station inconnue dans l'espoir de trouver un hôtel. Mais quittant la gare en direction de la ville, il est pris dans un épais brouillard, la route se dérobe sous ses pieds, il manque de s'enliser dans un marais, et atteint finalement quelques bâtiments. Cette ville n'est pas comme les autres. Entourée d'un brouillard éternel, il est impossible de la quitter. La gare, l'aérodrome, les routes, tous ces lieux n’existent que pour les arrivants et se hâtent de disparaitre quand ils essaient de repartir dans l'autre sens. Et pire encore, les souvenirs de leur vie passée s'effacent également. Comment savoir alors s'il existe vraiment autre chose que cette ville, si elle ne constitue pas à elle seule la réalité perceptible ? Et si certains essaient de fuir par le fleuve ou de tenter leur chance dans le brouillard, leurs cadavres servent d’avertissement aux autres.

Isidore décide de ne pas se résigner et de tenter de fuir. C'est alors une lutte de tous les instants qui s'engage. En effet, il lui serait facile de s'attacher à cette ville, à ces habitants. D'y mener un vie presque normale, l'air de rien. Il perçoit comme des agressions les tentatives qui sont faites pour l'intégrer à cette société, il fuit les autres pour pouvoir partir sans regret. Le brouillard réussit très bien à faire ressentir au lecteur cet état d'esprit particulier. De même, les propriétés étranges de cet endroit ne peuvent manquer d'avoir des influences bizarres sur le comportement des habitants et l'organisation de la vie. Le roman étant très court, on aurait tout de même aimé en savoir un peu plus. Autre petit reproche, certaines parties du livres voient la narration devenir très confuse, pour transmettre l'état d’esprit troublé du narrateur ou ses errements dans le brouillard, mais ces passages ne m'ont pas spécialement convaincu. A part ça, Le brouillard est un très bon petit roman qui exploite bien son concept et se dévore avec un grand plaisir.

160 pages, 1963, l'Arbre Vengeur

dimanche 10 novembre 2013

La princesse de Clèves - Madame de Lafayette

La princesse de Clèves - madame de Lafayette

Dans La princesse de Clèves, ce qui m'a marqué dès le début, c'est le contexte : la Cour. Un lieu franchement insupportable, où règnent le mensonge, la tromperie, et plus que tout, la superficialité. Enfin, une fois qu'on s'y fait, on peut apprécier le roman à sa juste valeur, qui n'en manque pas. Il explore les mystères de l'amour en prenant en compte plusieurs facteurs importants : le mariage, le désir, et la jalousie. Avoir les deux premiers semble impossible. S'il y a mariage, il n'y a pas amour réciproque, s'il y a amour réciproque, le mariage est impossible. Pire, le mariage devient non souhaitable, car dans cette organisation artificielle de l'amour, ce dernier ne dure pas. Et dans tous les cas, il y a la jalousie, qui vient interférer tragiquement dans toutes (ou presque toutes, ma mémoire est perfectible) les relations évoquée dans le roman. Et si certains vont jusqu'à mourir d'amour, ce n'est jamais ridicule, contrairement à Balzac par exemple, car ce qui compte vraiment dans le roman, c'est la psychologie des personnages, et celle-ci est toujours très intéressante. L'obstacle attise l'amour, mais la peur de voir cet amour s'éteindre conduit à le fuir. L'organisation arbitraire de l'amour décidé par les hommes ne convient pas à la réalité du sentiment. Il en va de même pour les valeurs qu'ils ont intégrés. La solution se trouve-t-elle dans le rejet de la jalousie et du confort du mariage, pour que ne reste que la sincérité du désir ? Peut être. Mais pas pour la princesse de Clèves, qui choisit la fuite.

250 pages, 1678, Folio

vendredi 8 novembre 2013

Quelques jeux en vrac #1

Hitman 2 : Silent Assassin
Hitman 2 : Silent Assassin (2002)

Hitman 2 est toujours une petite perle dans le genre de l'infiltration. Une succession de nombreuses missions dans des endroit variés (Italie, Moscou, Japon ...) qui nous mettent aux commandes de l'Agent 47, tueur à gage glacial et calculateur. Ce qui fait la particularité et le charme d'Hitman, c'est son gameplay si particulier, sa façon unique d'envisager la discrétion. Ici, pas question de passer son temps à se cacher dans le noir comme dans Splinter Cell par exemple, on opère la plupart du temps parfaitement à découvert. Il faut donc s'intégrer à l'environnement, en changeant de fringues, en usurpant diverses identités, et en adoptant un comportement aussi peu suspect que possible. Si vous comptez transporter un fusil de sniper jusqu'à l'autre bout d'un niveau, vous risquez d'attirer l'attention ... Il y a toujours de nombreuses façons de terminer chaque mission, en massacrant tout le monde ou dans la discrétion absolue en usant de moyens détournés (empoisonnement de nourriture, pose d'explosifs dans les véhicules ...). Si quelques détails de level design sont à regretter, l'ensemble est extrêmement convaincant et demande beaucoup de réflexion et de patience au joueur si celui ci veut avoir la satisfaction de commettre le meurtre parfait.

anachronox
Anachronox (2001)

Anachronox est un jeu que j'aurai aimé pouvoir aimer. Un jeu de rôle futuriste, un antihéros un peu paumé et très sympatrique, une planète-ville (Anachronox) au design complétement fou, un scénario déjanté qui nous fait voyager, une bonne dose d'humour ... Tout cela donne envie. Mais le gameplay ne suit pas. Les combats, au tour par tour dans la plus pure tradition des JRPG, sont aussi basiques que soporifiques. Si les phases d'exploration sont prenantes grâce au charme de l'univers, les donjons sont un calvaire. On avance, on tombe sur un monstre, on clique sur "attaque" quand on peut et on attend que ça soit terminé .. puis on recommence. C'est d'autant plus frustrant qu'on a pas d'influence sur l'évolution des compétences des personnages. J'ai donc abandonné au bout d'un moment. Dommage, parce que le jeu est vraiment drôle et surprenant, par exemple avec cette civilisation totalement bureaucratique qui parodie le système démocratique, ou encore cette planète dédiée à la science qui ne vous acceptera que si vous portez une blouse de laboratoire et si vous répondez à un questionnaire scientifique incompréhensible.

fez
Fez (2012)

Fez est une petite merveille qui a su me séduire par surprise. Il a l'air d'un jeu de plate-forme classique : on incarne un petit personnage qui sautille dans un monde en 2D. Et pourtant, ce n'est pas du tout ça. Le monde est en 3D, et on peut changer la perspective à volonté pour progresser. Il n'y a pas d'ennemis, l'accent n'est pas mis sur la difficulté mais sur l'exploration, le dépaysement et les énigmes. On se retrouve largué dans un monde vaste et mystérieux, et l’on doit récupérer un certain nombre de cubes. Contrairement aux apparences, ce n'est pas du tout répétitif, puisqu'il n'y a aucune linéarité, on explore comme on peut, on progresse au fur et à mesure que notre compréhension de ce monde et de ces mystères s'améliore. Il faut même apprendre une sorte de nouveau langage ! Certaines énigmes sont extrêmement complexes, mais ce n'est pas grave, puisque la première fin du jeu ne nécessite la récupération que de la moitié des cubes. Ainsi, le joueur qui n'a pas envie de se casser la tête sur des problèmes totalement tordus a quand même la satisfaction de voir la fin du jeu, et les autres peuvent continuer s'ils le désirent. Ce concept original et maitrisé est allié à un style visuel splendide, qui ne se contente pas de surfer sur la vague rétro mais propose toute une thématique géométrique cohérente avec l'univers. Magnifique. Une expérience courte pour ceux qui comme moi se contenteront de la première fin, mais une expérience délicieusement dépaysante.

mark of the ninja
Mark of the Ninja (2012)

Forte de son expérience avec Shank 1&2, l'équipe de Klei Entertainment a eu la bonne idée de conserver le style graphique et l'aspect "action 2D" de ces deux titres, mais d'y apporter cette fois un peu de subtilité et de finesse. Dans Mark of the Ninja, en effet, il faut se glisser dans l'ombre, surprendre les gardes par derrière, se faufiler dans des passages étroits, utiliser ses gadgets à bon escient, observer avant d'agir ... Tous les ingrédients d'un bon jeu d'infiltration. Cela ne serait rien un level design qui sache proposer des défis intéressants au joueur, et heureusement, on est également servis de ce coté. Le jeu parvient a se renouveler et à offrir un bon sentiment de progression tout en laissant une certaine liberté au joueur pour résoudre les problèmes qui se posent à lui. Le scénario, bien qu'assez sommaire, est plaisant à suivre. Relativement long pour le genre, avec son style graphique très personnel et son gameplay nerveux et diablement efficace, Mark of the Ninja a tout pour lui.


shelter 
Shelter (2013)

Shelter est l'un de ces nombreux jeux indépendants qui sont avant tout un concept. Ici, on incarne un blaireau. Une mère blaireau, pour être précis. Et il vous faudra veiller sur vos cinq petits, ce qui ne sera pas facile. Non seulement il vous faudra explorer votre environnement pour trouver des quoi les nourrir, mais les dangers ne manquent pas. Oiseaux de proie, incendie, renards, rivière en crue ... Il est peu probable que vous parveniez à protéger tous vos petits. Si Shelter se démarque par son concept rafraichissant et son univers visuel unique, hélas, il ne vous tiendra occupé qu'une grosse heure. C'est extrêmement court, d'autant plus qu'il parvient à se montrer répétitif sur ce laps de temps réduit. L'originalité ne fait pas tout. Néanmoins, malgré son gameplay très limité, Shelter est une expérience qui se laisse parcourir avec plaisir.

La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman


La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman

La fabrication du consentement, De la propagande médiatique en démocratie, pour son titre complet, est originellement paru en 1988, mais a été revu et actualisé en 2002. Concrètement, cela se traduit par des mises a jour intégrées dans le texte, et aussi par des "compléments 2002" situés en fin de chapitres. Bref, ce livre propose au lecteur un modèle de propagande, qui vise à expliquer comment les principaux médias "fabriquent le consentement", de nombreux exemples à l'appui. L'organisation du livre est logique: tout d'abord, le modèle de propagande nous est présenté théoriquement sur une centaine de pages, puis vient la confrontation du modèle avec la réalité historique sur 500 pages.

Le modèle de propagande est basé sur cinq filtres que l'information doit traverser avant d’être jugée digne d’intérêt. Le premier filtre, c'est l'orientation lucrative des médias. Pour la plupart possédés par un nombre très restreint de grosses corporations, les médias servent ainsi indirectement des intérêts bien précis. Pour continuer dans le sens de l'orientation lucrative, le second filtre est celui de la publicité. Outre le fait que les médias sont ainsi encore plus vulnérables aux influences des puissances économiques qui peuvent les priver de leur principale source de revenu, cette focalisation sur la publicité contribue à "baisser le niveau". Une publicité pour McDonalds à plus d’intérêt à se trouver au milieu d'un épisode de Koh Lanta que d'un documentaire de deux heures sur le monopole des chaines de restauration rapide, ses conséquences sur les habitudes alimentaires de la population ou encore sur l'emploi des jeunes. Troisième filtre, les sources de l'information. La focalisation se fait sur l'information facile : people, sport, faits divers et communiqués officiels. Il faut faire de l'argent et économiser sur les couts, alors évidemment, moins on va chercher loin, plus l'on fait d'économies. De plus, les sources divergentes seront généralement considérées comme non fiables, alors qu'un communiqué officiel ne générera guère de vérification avant mise en forme et publication. Quatrième filtre, contre-feux et autres moyens de pression. Les informations qui déplaisent aux sources de pouvoir ne peuvent manquer de générer des protestations, menaces judiciaires et autres pressions. Enfin vient l'anticommunisme, aujourd'hui un peu dépassé, il pourrait être remplacé par la notion de pro-capitalisme, ou les autres orientations idéologiques qui semblent aller de soi.

Pour ce qui concerne l'application du modèle de propagande aux faits historiques, le ton change un peu, on a presque l'impression de lire un livre d'histoire, et ce n'est pas pour me déplaire. Il faut en effet exposer les faits avant d'analyser la représentation que les médias en ont fait. Les auteurs se pencheront sur divers massacres ayant eu lieu dans des pays clients ou non des États-Unis, et sur la différence de traitement qui en découle. Puis, dans ces mêmes pays (Salvador, Guatemala, Nicaragua), ils analysent la façon dont sont traitées les élections plus ou moins démocratiques qui y ont lieu. Dans ces deux cas, c'est l'occasion de constater que le point de vue (ou l'absence de point de vue) des médias correspond d'une façon remarquable à une vision de monde qui déforme voir occulte la réalité dans l’intérêt de la politique étrangère Américaine. Vient ensuite le "complot de la filière Bulgare", une interprétation de la tentative d'assassinat contre Jean Paul II qui bien que ne reposant sur rien, occupe l'attention des médias car elle sert à discréditer les ennemis de l'Amérique. On termine avec un gros morceau : les guerres d'Indochine. Le Vietnam, puis le Laos et le Cambodge. Il est vraiment impressionnant de constater à quel point les États-Unis, se comportant en envahisseurs et massacrant des millions de civils, parviennent à se faire passer pour des défenseurs de la liberté. Et quand dans les médias on trouve des avis divergents, ils concernent la stratégie à adopter et le gâchis de ressources et de vies américaines, mais ne remettent pas en cause les bienfondés idéologiques et moraux de ces opérations. Opérations qui par ailleurs sont généralement tout simplement occultées.

La fabrication du consentement est un livre passionnant et éclairant. Outre sa grille de lecture et d'analyse des médias américains (qui peut facilement être adaptée aux gros médias internationaux en général), son intérêt vient aussi de son aspect historique. Les différents événements évoqués sont longuement décortiqués, et la période des guerres d'Indochine est particulièrement intéressante et édifiante. Et pas de souci à se faire sur l'actualité des propos tenus en 1988 et 2002, l'Amérique d'aujourd'hui a sans surprise continué dans le sens décrit ici.

Plutôt que mon avis assez maladroit, mieux vaut lire l'introduction du livre.

600 pages + 70 pages de notes/index, 1988, revu et actualisé en 2002, Agone