vendredi 30 août 2013

Mother London - Michael Moorcock


Mother London - Michael Moorcock

Mother London trainait depuis quelques années dans ma bibliothèque. Réputé comme le chef d’œuvre de Moorcock, il est également fameux pour être assez difficile d'approche. Et je confirme : il faut s'accrocher. Du moins au début, jusqu'à ce que la magie opère.

Mother London, c'est l'histoire de Londres et de ses habitants. Trois d'entre eux sont au cœur du récit : Josef Kiss, acteur particulièrement excentrique, David Mummery, écrivain traumatisé par le Blitz, et Mary Gasalee, sortie d'un très long coma sans avoir pris une ride. Ce qui unit ces trois personnages, ce sont leurs dons de télépathie. Ils sont capables de lire dans les pensées des gens. Uniquement à Londres, ce qui les lie particulièrement à la cité. Un tel don n'est pas facile à porter, ce sont des habitués des cliniques de repos, et de bonnes doses de médicaments leurs rendent la vie plus facile (enfin pas toujours). Voilà plus ou moins la base du roman. Le reste est semblable à une vaste mosaïque dont chaque chapitre est un fragment qui nous est livré de manière non chronologique. On passe ainsi de 1957 à 1963, ou encore de 1985 à 1980. Étrangement, cela n'altère pas la compréhension générale du roman, même si cette compréhension ne se fait pas toujours selon un ordre logique. Sont parfois évoqués des événements passés qui nous seront détaillés dans un chapitre à venir. En revanche, ce qui est plus perturbant, c'est l'absence de trame globale. Et non, pas d'histoire linéaire, simplement des fragments de vie qui certes se recoupent, mais c'est franchement perturbant au début. Pendant les 100 ou 150 premières pages, on se demande ce que l'auteur veut bien vouloir raconter à travers cette succession de scènes bizarre qui ne semble mener nulle part. Et puis, si l'on s'accroche, la magie commence petit à petit à opérer. On se prend d'affection pour ces personnages décalés et un peu perdus, on prend plaisir à les suivre dans des rues brumeuses et des pubs encore plus brumeux. Bref, on s'immerge dans le Londres de Moorcock.

Alors certes, comme le récit est long et très hétérogène, certains passages sont moins intéressants que d'autres. Par exemple, les divagations oniriques de Mary Gasalee ne m'ont pas franchement emballées. Par contre, les aventures exubérantes de Josef Kiss, les nombreuses descriptions du Blitz (qui prend une très grande place dans le livre) ou encore cet épisode sur les émeutes, celui sur les délires enfantins de David Mummery, sans compter les personnages secondaires charismatiques ... Un petit régal. Et de plus, la frontière entre hallucination, mythe et réalité est très ténue. Mother London est un roman déstabilisant, bizarre, décalé, qui si on s'accroche un peu, à beaucoup à offrir. Faudra que j'aille refaire un tour à Londres moi un de ces jours ...

679 pages, 1988, Folio SF

Les avis du Cafard Cosmique, de Nébal, Efelle, Imrryran

mercredi 28 août 2013

L'Ève future - Villiers de L'Isle-Adam


L'Ève future - Villiers de L'Isle-Adam

 L'Ève future date tout de même de 1886, et cela en fait mine de rien une œuvre fondatrice de la science fiction. L'illustration de couverture est tirée de Metropolis, et ce n'est pas un hasard, puisque Villiers de L'Isle-Adam décrit dans son roman la création d'une femme artificielle, une "andréide".

Tout d'abord, il est surprenant de constater que dans la forme, L'Ève future prend presque la forme d'une pièce de théâtre. A part vers la fin, l'action se déroule principalement au même endroit et sur une période de temps très courte. Enfin, quand je parle d'action, il faut relativiser, puisque la quasi intégralité du récit est constituée d'un dialogue entre Edison, créateur de génie, et le jeune Lord Ewald, au bord du suicide à cause d'un amour raté. Il faut donc espérer qu'ils se racontent des choses intéressantes, mais malheureusement, c'est loin d’être toujours le cas. L'ensemble est extrêmement riche en références, ce qui a tendance à être assez lourd au bout d'un moment, et les idées échangées entre les personnages ne sont pas d'un intérêt constant, notamment en ce qui concerne la vision de la femme. En gros, il y a deux types de femmes : l'épouse modèle, et la vile prédatrice qui, à l'aide de son maquillage et de ses mauvais instincts, pousse à la perte tant d'hommes innocents. Villiers de L'Isle-Adam passe des dizaines de pages à évoquer ce problème, puisque c'est pour cette raison que Edison crée son andréide : après tout, si la femme n'est que mensonge et si l'homme ne l'aime que pour son physique, pourquoi ne pas créer une femme-objet plastiquement parfaite, et dotée d'un simulacre d'esprit correspondant à ce qu'en attend un homme ? En effet, l'andréide est simplement un objet qui imite la femme, car elle est entièrement mécanique. Pas encore de concept d'intelligence artificielle. Chaque phrase qu'elle déclame a du être enregistrée avant sa création. Et on a droit pendant des pages et des pages à la description du fonctionnement mécanique de l'andréide, ce qui est vraiment usant, car c'est plutôt n'importe quoi. D'autant plus que vers la fin tout devient encore plus flou avec l'ajout d'une dose de surnaturel.

Pour l'instant, je ne dresse pas un portrait très flatteur de L'Ève future, et pour cause, le roman est assez pénible à lire. Malgré tout, on trouve parfois au détour d'une page une réflexion très intéressante sur la nature de l’artificiel, de l'illusion et du réel. Et l’intérêt historique est bien là, car si bon nombre des concepts développés par Villiers de L'Isle-Adam sont périmés, une fois replacés dans leur contexte, ils prennent une autre dimension. Sans oublier le caractère fondateur de ce roman. Bref, mieux vaut ne pas s'attaquer à L'Ève future en espérant un vif plaisir de lecture, mais plutôt en envisagent le coté culturel et historique de l’œuvre.

310 pages, 1886, GF-Flammarion
Pour de la SF de la même époque, à mon gout bien plus intéressante, voir le génial Flatland.

L'avis de Nébal

vendredi 9 août 2013

Virus - John Brunner


Virus - John Brunner

Le titre français de ce roman est trompeur. En voyant le simple mot Virus, le lecteur peut s'attendre à se trouver face à un roman catastrophe dans lequel l'humanité lutte contre une maladie mortelle. Et bien ce n'est pas du tout ça. L'illustration de couverture est un indice : le virus en question est d'une nature bien différente de ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Ce virus, le V.C., a pour principal symptôme de rendre ... intelligent. Ou, pour dire les choses plus en détail, il permet à l'esprit humain de se souvenir de tout ce qu'il a déjà rencontré et de mettre toutes ces informations en corrélation, ce qui a pour conséquence d'offrir à chaque personne "contaminée" des niveaux de conscience et de compréhension du monde extrêmement élevés.

Et ce ne sera pas du luxe pour aider une humanité qui semble aller droit dans le mur, un mur nommé troisième guerre mondiale. Je ne vais pas résumer la situation politique décrite dans le roman, mais John Brunner est vraiment doué pour impliquer le lecteur dans son univers. Ceux qui ont lu sa célèbre quadrilogie d’anticipation (Tous à Zanzibar, L'orbite déchiquetée, Le troupeau aveugle et Sur l'onde de choc) ne seront pas dépaysés. Le futur est proche, le futur est noir. La technique d'écriture de Brunner consistant à multiplier les personnages et les points de vue différents fonctionne à merveille, on est vraiment plongé dans sa vision du futur, et surtout, l'ensemble semble profondément crédible.

Le virus en question, le V.C., s'échappe (ou plutôt se fait échapper) d'un laboratoire, et va contaminer quelques personnes bien différentes. Ces personnages sont désormais unis par leur nouvelle vision du monde, et si certains sont confortés dans leurs opinions et trouvent là l'occasion de les approfondir, d'autres s'aperçoivent qu'ils faisaient n'importe quoi et prennent conscience des conséquences de leurs actes. Grâce à leur capacité commune à mettre en corrélation toutes les bribes d'informations qui leur parviennent, l’imminence de la troisième guerre mondiale ne leur échappe pas. La solution pour l’empêcher ? Contaminer la planète entière avec le V.C. ! Et là, le roman est vraiment jouissif. C'est optimiste (quoi que, considérer que l'humanité a besoin d'une intelligence qu'elle ne possède pas à la base pour s'en sortir, c'est moyennement optimiste), et certaines scènes sont un régal. Ce moment où deux patrouilles d'armées ennemies ne parlant pas la même langue fraternisent, arrivent tant bien que mal à communiquer, à rigoler ensemble et à remettre en cause l'ordre établi, ou encore ce tyran fasciste prenant conscience de la véritable absurdité qu'est la guerre et proposant un plan de répartition égale des richesses, et bien c'est juste beau. Cela aurait pu être ridicule, mais John Brunner écrit bien, sait présenter les choses de façon crédible sans jamais se prendre trop au sérieux.

Virus n'a l'air de rien, mais en plus d’être un très bon roman d'anticipation, c'est le genre de livre qui fait plaisir, dont on sort heureux.

222 pages, 1973, Presses de la cité