dimanche 23 juin 2013

Le voyage gelé - Philip K. Dick


Le voyage gelé - Philip K. Dick

Je crois que j'ai un problème avec Philip K. Dick. Je sais que c'est un maitre de la SF, alors pour parfaire ma culture du genre, j'ai lu il y a quelques années Ubik, Blade Runner et Le maitre du haut château. Mais je trouve ça juste ... au mieux sympathique, au pire assez incompréhensible. J'ai vraiment du mal à voir dans ces trois romans des chefs-d’œuvre. Mais bon, comme je sais à quel point Dick est acclamé, je m'acharne, et là, c'est le première fois que je découvre ses nouvelles.
  • Souvenirs trouvés dans une facture de vétérinaire de petits animaux (1976) représente bien ce qui me laisse perplexe chez Dick. On a l'impression que ce récit, qui semble être autobiographique, a été écrit par un fou. Je sais que vers la fin de sa vie sa raison laissait parfois un peu à désirer, et j'ai du mal à percevoir l’intérêt de ce texte.
  • Avec Non-O (1958), on revient à des nouvelles plus classiques. Ici, une partie de l'humanité, dont les membres ne sont que pure logique et n'ont pas la moindre faculté d'empathie, se met en tête de ... détruire l'univers. C'est pas mal du tout : pas très développé mais efficace.
  • Dans Le retour des explorateurs (1959), un groupe d'astronaute revient de Mars après un voyage périlleux. Ils s'attendent à être accueillis en héros, mais il se trouve que toutes les personnes qu'ils croisent s'enfuient en courant. C'est dans le même genre que la nouvelle précédente, sympathique mais pas spécialement maitrisé, notamment par rapport à certains dialogues qui ne servent qu'à donner des informations lecteurs de façon un peu grossière.
  • Dans Une proie rêvée (1959), un chercheur en physique nucléaire est sur le point de se faire enlever par des êtres venus d'ailleurs. Pas mal du tout, le twist final est marrant.
  • Que faire de Ragland Park ? (1963) met l'accent sur la politique avec un soupçon de pouvoirs psys. Dick ne me semble pas très à l'aise avec la politique.
  • Un numéro inédit (1964) met en scène une sorte de dystopie. Cependant, c'est la dystopie ancien modèle : un chef suprême, de la propagande, et des citoyens bien endoctrinés. Un texte qui n'a pas très bien vieilli.
  • L'histoire qui met fin à toutes les histoires pour l'anthologie d'Harlan Ellison (1968) est un minuscule texte de 13 lignes sans intérêt.
  • Dans Le cas Rautavaara (1980), des extraterrestres aux conceptions bien différentes des nôtres maintiennent en vie le cerveau d'une morte pour y faire des expériences mystiques. Bof.
  • Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, Le voyage gelé (1980), un caisson de stase fonctionne mal, et un homme va devoir affronter 10 ans de voyage en étant parfaitement conscient, avec seulement l'IA du vaisseau pour essayer de l'occuper. Dick est à l'aise avec ce genre de thème, et cela fonctionne plutôt bien.
  • La dernière nouvelle, L'autremental (1981), bien que reprenant le thème de la précédente et étant très courte, est peut être le meilleur texte du recueil. Par contre, j'y ai vu une faille logique. Dans le petit vaisseau où se déroule l'action, il y a une homme en stase et un chat. Le chat n'est pas en stase, mais il semble qu'il aurait du y être. Il y a deux ans de réserves de boites de pâté pour chat dans un placard. Problème : si le chat aurait du être en stase, pourquoi y a-t-il deux ans de boite de pâté pour chat en stock ? et puisque le chat n'est pas en stase, comment fait-il pour se nourrir, il ouvre les boites tout seul ?
Bon, ce recueil ne changera pas l'image que je m'étais faite de Philip K. Dick : pas mal, de bonnes idées, mais loin d’être incontournable. Je continuerai à découvrir son œuvre en espérant finir par tomber sur quelque chose qui m'éblouisse.

212 pages, Folio SF

mardi 18 juin 2013

Le moine - Matthew G. Lewis


Le moine - Matthew G. Lewis

Le moine est un classique de la littérature gothique et de la littérature fantastique en général. Rien que pour ça, j'avais envie de le lire. Mais quand je suis tombé sur cette édition, je me suis jeté dessus : j'adore l'illustration, simple et efficace, montrant le symbolique habit de moine dans une ambiance que l'on comprend être bien loin de la sainteté.

Le roman de Lewis est le récit de la chute d'Ambrosio, moine connu et respecté pour ses vertus et son respect des règles monastiques. Mais Ambrosio a le cœur plein d'arrogance et d'amour de soi, il tire un plaisir secret du respect et de la vénération qu'il suscite chez les autres. Il semble qu'il suffirait de peu de choses pour le mener dans la voie du vice et de la dépravation. L'occasion de révéler ces penchants va lui être fournie par un jeune et discret moine récemment arrivé au monastère. Et à partir de là, tout s'enchaine, et Ambrosio va être amené à commettre les pires horreurs. On pourrait croire qu'il s'agit là de l'essentiel du récit, mais ce n'est pas le cas. On retrouve également des personnages plus classiques, des nobles et des belles demoiselles, ainsi que leurs amourettes. Ainsi, au début du roman, on peut être surpris quand le récit s’écarte pendant longtemps d'Ambrosio et nous raconte les aventures d'un duc. Certes, ces aventures sont écrites avec talent et bien construites, et n'oublient pas d'apporter leur lot d'horreurs, mais bon, Ambrosio est tout de même plus intéressant. C'est le principal reproche que je ferai au récit: les parties qui ne se déroulent ni avec Ambrosio ni dans le couvent voisin (car les nonnes aussi ont des choses à cacher) sont un peu trop nombreuses. Car après tout, si l'on lit Le moine, ce n'est pas pour suivre les amourettes de gens de bonne famille, mais pour assister à la perte d'un homme de Dieu.

Et de ce coté là, et bien c'est réussi. Ambrosio est un personnage complexe, déchiré entre ses désirs et sa religion. Tout d'abord, ses désirs ne sont finalement que trop naturels, car une vie de frustration dans les murs d'un monastère ne délivre pas des besoins du corps et des charmes des plaisirs charnels, mais rapidement, il n'hésite pas à recourir à la violence et au crime pour assouvir ses pulsions. Il va jusqu'à se faire aider de Lucifer lui-même. Et c'est dans ces moments que le récit est le plus prenant, que la fascination pour les tourments et l'horreur des actes du moine fait que les pages s'enchainent sans qu'on y prenne garde. Alors certes, Lewis met trop en avant des personnages secondaires finalement classiques et peu intéressants, mais l'ensemble n'en est pas moins excellent. Une délicieuse plongée dans le vice qui se cache sous les vertus chrétiennes de ces serviteurs de Dieu.

367 pages, 1796, bibliothèque marabout

dimanche 16 juin 2013

La nuit de l'oracle - Paul Auster


La nuit de l'oracle - Paul Auster

La nuit de l'oracle est peut-être le roman de Paul Auster qui m'a semblé le plus étrange, le plus insaisissable. On y retrouve ses obsessions habituelles, mais à travers une sorte de mise en abime, puisque le héros, Sydney Orr, est un écrivain. Et justement, ce qui apparait comme les thèmes de prédilection de l'auteur (la solitude, la fuite) sont principalement présents dans le roman écrit par Sydney Orr. Un roman dans le roman, donc. Et encore un roman dans le roman dans le roman, qui justement se nomme La nuit de l'oracle. Auster écrit toujours aussi bien, et l'ensemble est donc très clair sur le moment, mais il est vrai qu'après coup je ressens une certaine confusion à propos de qui est réel et ce qui ne l'est pas.

C'est d'ailleurs le thème du roman, puisque Sydney écrit dans un étrange petit carnet qui semble plus qu'un carnet ordinaire. Le carnet aspire-t-il l'écrivain dans l'histoire qu'il crée ? Ou peut-être donne-t-il une certaine réalité à ce qui est écrit dans ses pages ? Mystère. Il ne faut pas s'attendre à tout comprendre, mais ce principe permet à Auster de démontrer ses talents de construction du récit. Par exemple, vers la fin du roman, Sydney Orr met sur papier ses hypothèses concernant les troubles de sa vie conjugale, ce qui éclaire tout d'un coup l'histoire d'un sens nouveau, mais c'est au lecteur de décider ce qu'il doit croire : réalité ? fantasme de mari jaloux ? fiction rendue à moitié réelle par l'étrange carnet ?

La nuit de l'oracle n'est probablement pas un roman majeur de Paul Auster, il s'agit surtout d'une intéressante curiosité. Le genre du roman qu'on prend plaisir à lire et dont on sort un peu perplexe, sans vraiment savoir quoi en penser, en se demandant ce qui vient de se passer.

236 pages, 2003, Babel

jeudi 13 juin 2013

Babylon Babies - Maurice G. Dantec


Babylon Babies - Maurice G. Dantec

Sur la couverture de l'édition Folio que je possède s'étale le poster du film Babylon A.D. de Mathieu Kassovitz, (très) librement adapté du roman de Dantec. Le film, si je m'en souvient bien, est franchement raté. Par contre, est visible par ici un long making of tout à fait passionnant qui montre les coulisses et les tensions du tournage, et qui explique en partie pourquoi le film est un échec. Bon, le livre maintenant.

On commence par nous présenter le héros, Toorop, mercenaire originaire d’Europe de l'est qui a passé sa vie sur divers champs de bataille. Mais un événement inattendu va le sortir de cette routine : une mafia russe lui propose de convoyer une femme jusqu'au canada, et il n'est pas en position de refuser. Tout d'abord, Babylon Babies m'a semblé un bon roman, servi par une écriture vive, parfois assez originale, et un univers violent et crasseux vaguement typé cyberpunk, le genre de chose que j'aime. Mais plus j'ai avancé, plus j'ai déchanté. La trame, tout d’abord, est très décevante. Le nœud de l'intrigue, c'est Marie, la femme que Toorop doit escorter. Tout monde veux la tuer ou la capturer : une secte, des mafias russes, des hackers bizarres ... On sait qu'elle transporte quelque chose de précieux, et avec l'aide du titre du roman, on devine rapidement de quoi il s'agit : des bébés. Enfin, des embryons de bébés, au début. Pendant la première partie de roman, on reste dans le flou total, les persos passent leur temps à regarder la télé et à boire du coca (le terme "coke" revient tellement souvent que c'est à se demander si Dantec n'est pas directement financé par coca cola). Il n'y a tout simplement pas d'enjeu, puisque bien que ces bébés soient au centre du roman, pendant 650 pages, on ne comprend pas pourquoi. Et même quand on comprend, ça ne va pas du tout : un vague concept de post-humanité sorti de nulle part. De nulle part, puisque tout repose sur un concours de circonstance expliqué très rapidement en espérant que ça passe. Marie est une schizophrène très spéciale, fruit du travail de scientifiques, et par hasard, elle se retrouve employée par la mafia russe à transporter des embryons pour le compte d'une secte, et PAF, ça fait des bébés post-humains plein de super-pouvoirs.

Franchement, non, ça ne va pas. Le roman part totalement en vrille, les délires mystiques, oniriques, cybernétiques, chamaniques et schizophréniques (oui tout ça) s'enchainent, et si au début on peut trouver ça original, ça pose bien l'ambiance, à la longue, ça devient juste ... trop, voir n'importe quoi. Et, comme expliqué plus haut, la trame ne tient pas la route sur la longueur. Bon, Babylon Babies n'est pas totalement nul, il se laisse lire grâce à son univers foisonnant et à son écriture assez vive, certains passages sont même très bons, mais je n'irai conseiller à personne de se lancer dans ce pavé, il n'y a pas à chercher bien loin pour trouver bien mieux.

720 pages, 1999, folio SF

Parmi tous les avis dispos sur le web, je partage particulièrement celui de Robert BELMAS sur Noosfere, tout en bas de la page.

jeudi 6 juin 2013

La boite à maléfices de Robert Bloch


    La boite à maléfices de Robert Bloch

    Un recueil de 12 nouvelles de Robert Bloch, auteur ayant fait ses débuts dans Weird Tales sous l'influence de Lovecraft et qui est par la suite devenu célèbre avec Psychose (enfin, c'est surtout Hitchcock et son adaptation qui sont célèbres). Le volume que je me suis procuré a une couverture rigide et sobre, mais à part ça, le contenu est le même que dans l'édition un peu moins esthétique visible ci-dessus.
    • Monsieur Steinway (1954). Alors que la narratrice tombe amoureuse d'un charmant pianiste, elle se rend compte que celui-ci a une relation particulièrement poussée avec son piano. Piano qui va se révéler être un peu trop vivant. Sympathique.
    • Console moi, mon robot (1955). De la SF, cette fois. L'histoire commence alors qu'un homme se rend chez une sorte de psychiatre et lui annonce qu'il a l'intention de tuer sa femme. Et le psy écoute attentivement, donne son accord à ce qu'il dit être une thérapie tout à fait valable, et lui donne rendez-vous deux jours plus tard pour arranger les détails de meurtre ! Le thème de la psychiatrie est cher à Bloch, et ici, cela fonctionne parfaitement, un très bon texte.
    • Maudit sois-tu, docteur Fell (1955). Là aussi, un patient visiblement très perturbé, qui perd contact avec la réalité, se rend chez un psy. Encore une fois, le thème est tout à fait maitrisé.
    • On se trompe peut être (1955) continue dans une même veine qui fait penser à Philip K. Dick. Un homme devient tout d'un coup à devenir paranoïaque et remet en question la réalité de tout ce qui l'entoure. Et qui sait, il n'a peut être pas tout à fait tort.
    • J'embrasse ton ombre (1956) revient à une plus classique histoire de fantôme. Cependant, elle est traitée de façon moderne, c'est à dire qu'aux yeux de tous, le meilleur remède contre un fantôme, c'est un bon psy. Et du coup, cette nouvelle n'est pas si classique que ça.
    • Ève au pays des merveilles (1956) s’empire directement de conte de Lewis Carroll. Une richissime actrice se met à rêver toute l'aventure d'Alice alors qu'elle n'en avait jamais entendu parler, et un psy (oui, encore) essaie de comprendre ce qui se cache là-dessous. C'est l'occasion pour Bloch de se moquer des théories freudiennes d'interprétation des rêves. Pas mal, mais ne pas avoir lu Alice réduit l’intérêt de cette nouvelle.
    • La belle endormie (1958) offre un petit voyage dans la passé de la Nouvelle-Orléans. On est bien plongé dans les brumes et les fantômes de cette cité humide et cosmopolite, efficace.
    • Le coin des gorges chaudes (1959) met en scène une ado mal dans sa peau qui va avoir recours au crime pour attirer l'attention sur elle. Mouais, j'ai pas tout compris.
    • Le monde de l'écran (1969). Un vieil homme, figurant dans des centaines de films muet, va toutes les semaines au ciné pour revoir les vieux films dans lesquels lui et la femme qu'il a aimé ont figurés. Et il a l’impression que cette femme apparait dans des films dans lesquels elle n'a pas joué, et qu'elle lui fait des signes ... Pas mal du tout, même si la fin est plus que prévisible.
    • Chez le dingue (1971) reprend un peu la même idée, mais cette fois avec des bande dessinées. C'est dommage d'avoir mis deux nouvelles qui se ressemblent à la suite, surtout que celle-ci est un peu moins bien.
    • Dans les siècles des siècles, ainsi soit-il (1972) revient vers la SF avec une histoire de clones. Très intéressant, mais la fin ne m'a pas semblé crédible.
    • Et enfin, La maladie des entêtés (1976), narrée par un gamin, nous plonge dans une famille américaine campagnarde. Le papy vient de mourir, mais voilà qu'il se lève le matin comme de rien n'était et vient prendre son petit déjeuner ... Un bon texte pour conclure.
    Le niveau général des nouvelles rassemblées ici est très satisfaisant, même si toutes ne se valent pas. Robert Bloch s'inspire notamment beaucoup de la psychanalyse, il a tendance à distiller un fantastique plutôt discret, bien loin des créatures monstrueuses et autres classiques. Dans ce sens, on ne perçoit pas du tout l'influence de Lovecraft, son idole de jeunesse, il a su trouver son propre style. Et en général, cela fonctionne très bien. Un bon p'tit recueil.

    229 pages, Casterman

    mercredi 5 juin 2013

    Nouvelles de Pétersbourg - Gogol

     Nouvelles de Pétersbourg - Gogol

    Les Nouvelles de Pétersbourg de Gogol sont très connues, et à juste titre, parce que tout y est vraiment excellent. Tout d'abord, Gogol écrit superbement bien, c'est un plaisir de lire d'aussi belles phrases. Ensuite, le ton, comme souvent chez certains romanciers de l'est, hésite entre réalisme, fantastique et absurde, d'une façon parfaitement maitrisée.
    • La perspective Nevski. Dans une remarquable rue de Pétersbourg, le lecteur suit le destin de deux personnages, un peintre et un fonctionnaire, les deux figues de ces Nouvelles de Pétersbourg. Entre tragique, humour et grotesque, c'est très réussi. La nouvelle s'articule autour de l'opposition du tempérament des deux personnages, mais le fait qu'elle n'ait pas vraiment d’élément directeur central la rend peut être un peu plus faible que les autres.
    • Le portrait. Un peintre dont la situation financière laisse à désirer va trouver la fortune grâce à un tableau mystérieux. Mais au lieu de consacrer sa fortune au travail et à l'amélioration de son art, il recherchera les succès mondains et ne travaillera que sur des portraits de gens du monde. Ici, on penche un peu plus vers le fantastique. Magnifique vision de la déchéance d'un homme de talent, et de de la déchéance en général, j'adore.
    • Le journal d'un fou. Alors là, c'est vraiment un régal. On suit à travers son journal un petit fonctionnaire un peu (voir beaucoup) dérangé. Mention spéciale à la correspondance entre deux chiens.
    • Le nez. Un fontionnaire tout à fait respectable voit son nez disparaitre. Nez qu'il croisera dans la rue, se baladant l'air de rien. La quête du héros pour retrouver son nez est l'occasion d'écorcher l'organisation administrative de la Russie.
    • Le manteau. Un fonctionnaire pas très malin se trouve, devant l'état de ruine de son manteau, obligé d'en acheter un nouveau. Pendant de longs mois de privation, il devient totalement obsédé par ce manteau. Un personnage magnifiquement grotesque.
    Bref, inutile de beaucoup en dire, les Nouvelles de Pétersbourg sont un régal d'humour et d'absurde, avec en fond une vision puissante de la Russie, et Gogol a une plume splendide.

    277 pages, Folio

    dimanche 2 juin 2013

    Contrepoint - Aldous Huxley


    Contrepoint - Aldous Huxley

    Contrepoint, publié en 1926, est très proche dans sa forme de La paix des profondeurs, écrit dix ans plus tard. Il s'agit de la vue globale d'une fraction de la haute société anglaise, où de nombreux personnages aux idées variées évoluent et interagissent. Et d'ailleurs, Contrepoint est clairement un roman à idées. Chaque personnage est unique, porteur d'opinions propres, d'une personnalité profonde et réaliste disséquée par l'auteur. Huxley ne se place jamais vraiment au dessus de ses personnages, il passe plutôt de point de vue interne en point de vue interne, et les pensées de chaque protagoniste sont mises à nu.

    Comme dans La paix des profondeurs, Huxley s'inspire de sa propre existence. Par exemple, cet enfant malade dont les sens s'éteignent renvoie aux problèmes de vue de son adolescence, problèmes qui l'ont dispensé d’être mobilisé pendant la première guerre mondiale, tout comme son personnage Philip Quarles, blessé à la jambe dans sa jeunesse. Ce même Philip Quarles est lui aussi un écrivain, et projette d'écrire un roman qui ressemble étrangement à Contrepoint. Un roman dans le roman, et un roman dans le roman dans le roman, etc ... Philip Quarles est un être introverti, fuyant le contact humain pour se réfugier dans l'intellectualisme. Walter Bidlake est torturé par le désir qu'il éprouve envers une femme libertine. Sa compagne, Marjorie Carling, ne semble pouvoir vivre qu'à travers lui. Mark Rampion, profondément critique vis à vis de la société, sert de prétexte à de passionnants monologues qui expriment peut-être la pensée de l'auteur. Maurice Spandrel est un nihiliste attiré par le vice. Et il y en a plein d'autres, tous aussi passionnants les uns que les autres. Huxley peint si bien des caractères si différents, et surtout fait exprimer à ses personnages des idées si variées et intéressantes, que ce qui ce dégage de ce roman, c'est une profonde sensation d'intelligence. J'ai eu l'impression de sentir l'intelligence de l'auteur derrière la valse des idées et des personnalités du roman. Et c'est une sensation très agréable, parce qu'on a l'impression de grappiller un peu de cette intelligence.

    Dans Contrepoint, Huxley écrit "Il faut autant de travail pour écrire un mauvais livre qu'un bon ; il sort avec la même sincérité de l'âme de l'auteur." Et bien Contrepoint fait clairement parti des bons livres, et mêmes des excellents livres, ceux dont on sort un peu moins bête qu’avant. C'est riche, c'est intelligent, c'est passionnant. Je me demande bien pourquoi il n'y a pas d’édition récente, surtout que l’auteur du Meilleur des mondes est loin d’être un inconnu.

    Tome 1 : 328 pages, Tome 2 : 306 pages, 1926, Librairie Plon