samedi 28 décembre 2013

Les diables de Loudun - Aldous Huxley


Les diables de Loudun - Aldous Huxley

Huxley nous raconte ici l'histoire de la possession des Ursulines de Londun, une petite ville française. Déjà, le lecteur ignorant (moi par exemple) pourrait s'imaginer qu'un cas de possession ne dure pas plus de quelques semaines. Une none fait des trucs bizarres, par exemple marcher au plafond, on envoie un exorciste qui brandit son crucifix en hurlant vade retro Satanas, et hop, c'est réglé. Eh bien pas du tout, et Les diables de Loudun m'a appris plein de choses. La possession dure des années, et est crée de toutes pièces pour servir des intérêts politiques et religieux. Les prétendus exorcistes sont en fait ceux qui installent le mal dans les possédées, manipulant les névroses inhérentes à leur mode de vie pour servir leurs propres fin.

Au niveau de la forme, le livre est assez indéfinissable, entre roman, essai et récit historique. C'est très hétéroclite, avec des hauts et des bas. Commençons par les bas. Dans un passage essayiste qui dure plusieurs dizaines de pages, Huxley s'attache à démontrer ... je ne sais pas. Je n'ai rien compris. C'est assez indigeste, il parle de religion et de perceptions extra-sensorielles ... J'avoue être incapable d'en parler, j'ai sauté la plus grande partie de ce passage et je ne me souviens plus des bizarres concepts évoqués. Pour le reste, Les diables de Loudun est très convainquant. La partie de récit la plus marquante est celle qui se rapporte à Urbain Grandier. Ce prêtre ne manquant pas d'amour propre et amateur du beau sexe n'est pas sans rappeler le moine de Lewis. Ce viveur va par ses frasques s'attirer de nombreux ennemis, et c'est lui qui sera le bouc émissaire dans l'affaire de la possession. Une fois emprisonné puis soumis à la question, il n'est plus le même homme. Il y avait longtemps qu'un livre ne m'avait pas autant atteint émotionnellement que pendant les passages narrant les supplices de Grandier et sa foi renouvelée. Outres les frasques et les souffrances de ce moine, on a droit à un décryptage des origines de la "possession" des Ursulines, la folie mystique du père Surin (personnage tout de même moins intéressant que Grandier), et de façon plus générale, un passionnant tableau de l'époque. L'ombre du totalitarisme plane, Richelieu espérant utiliser les événements de Loudun pour créer un nouvel âge d'inquisitions alors que cette ville se voit écrasée par le mensonge et la manipulation. Huxley conclut son livre avec de très intéressantes réflexions sur le besoin qu'a l’être humain de transcender son moi. Les diables de Loudun est au final une lecture assez surprenante et inégale, mais globalement instructive et intéressante, avec des passages de récit particulièrement frappants.

378 pages, 1952, Presses Pocket

samedi 7 décembre 2013

Tous à Estrevin ! - Lafferty


Tous à Estrevin ! - Lafferty

Connaissant Lafferty par quelques-unes de ses nouvelles, je m'attendais (et j’espérais) avec ce roman quelque chose de peu commun. Et bien je n'ai pas été déçu de ce coté. En effet c'est peu commun. C'est même très étrange.Vraiment très étrange.

Tous à Estrevin ! est l’autobiographie d'une machine, Epikt. Et c'est complétement fou. Littéralement. Tous les personnages du récit, les chercheurs de l'Institut de la Science Impure, les créateurs d'Epikt, sont complétement malades. Ou alors ce sont des génies. Je ne sais pas trop. Quoi qu'il en soit, ils font n'importe quoi. Je ne sais comment décrire leurs activités. C'est assez surréaliste. Ils essaient de changer la forme des cristaux de neige. Ils cherchent la forme de l'univers. Ils tentent de lire la vérité sur le ventre des serpents. Ou s'essaient au cannibalisme. Mais ils ne sont pas méchants, leur objectif est (parfois) de créer une essence d'amour pour la répandre sur Terre. Quand à Epikt .... C'est pire. Il est encore plus fou. Ou alors non, il est le seul sain d'esprit. Peut-être qu'en fait tout est normal, et c'est sa vision des événements qui crée cet étrangeté. Voit-il la réalité d'une façon impossible pour nous autres humains ? Probablement. De toutes façons, Epikt est encore jeune. Il commence son récit alors qu'il n'est pas encore né.

Je ne sais pas comment j'ai fait pour aller jusqu'au bout de Tous à Estrevin !. Et le plus étrange, c'est que j'ai aimé. Bizarre. Comment ai-je pu apprécier ce charabia ? Je crois que c'est parce que c'est stimulant. Intellectuellement parlant. On est face à une logique différente, on cherche à la comprendre, à en percer les mystères. Une logique, vraiment ? Peut-être que ce roman n'est que non-sens, absence de logique. Je ne sais pas. Tout change rapidement, on passe si vite d'une idée folle à une autre idée folle, d'une jeu de mot surprenant à un concept génialement incompréhensible, qu'on a pas le temps de s'ennuyer. C'est intrigant. Et stimulant. Et étrange. Et indescriptible.

253 pages, 1971, Presses Pocket

Les avis du Cafard Cosmique et de Scifi Universe.

samedi 30 novembre 2013

Le coin des fous - Jean Richepin


Le coin des fous - Jean Richepin

Publié en 1921, Le coin des fous contient 23 petites nouvelles (ou contes) parues originellement entre 1892 et 1900, et cette édition en propose quatre supplémentaires. Ces textes sont donc postérieurs de plus de 20 ans à ceux des Morts bizarres, et malheureusement, ce n'est pas pour le mieux. Là où le précédent recueil était frais, surprenant et très drôle, les textes rassemblés ici sont d'une facture bien plus classique. Pour commencer, ils ont tous les même format (environ 5 pages), et ce simple fait ne manque pas d'installer une certaine routine. Ensuite, par leurs thèmes mêmes, entre bizarreries, folie et fantastique léger, ils évoquent immanquablement Poe (on retrouve d'ailleurs plusieurs références au Démon de la perversité), mais en moins bien. Heureusement certains éveillent l’intérêt. Dans L'autre sens, un scientifique se lance dans un enseignement ésotérique pour atteindre un sens ultime (thème qui semble cher à Richepin). L'âme double nous présente un homme qui semble abriter deux esprits différents, voir plus. Un autre a son visage perpétuellement caché par Le masque, et son secret n'est pas une simple malformation physique. Quelques fort bons textes donc, mais la plupart s'oublient aussitôt lus. Un recueil décevant après les excellentes Morts bizarres.

175 pages, 1921, Séguier

jeudi 21 novembre 2013

Les morts bizarres - Jean Richepin


Les morts bizarres - Jean Richepin

« Les époux Guignard, mariés par amour, désiraient passionnément un fils. Comme si ce petit être tant souhaité voulait hâter l'accomplissement de leurs vœux, il vint au monde avant terme. Sa mère en mourut, et son père, ne pouvant supporter cette mort, se pendit de désespoir. »

Voilà qui pose le ton de ces douze petites nouvelles. Leurs héros sont des perdants, des médiocres, des misérables qui trouvent la mort au bout de quelques pages, non sans une bonne dose d'humour noir. Et c'est tout simplement brillant. On est tantôt amusé de ces malheurs, tantôt atterré, et parfois horrifié (il y avait longtemps que je n'avais pas lu une nouvelle aussi insoutenable que La machine à métaphysique). Qu'ils soient voleurs, meurtriers, excentriques, artistes ratés ou juste malchanceux, les vies et les morts des personnages sont de captivants échecs, drôles et tristes. Un petit chef-d’œuvre d'humour noir et d'horreur sociale.

172 pages, 1877, l'Arbre Vengeur

samedi 16 novembre 2013

Trois chemins d'écolier - Ernst Jünger


Trois chemins d'écolier - Ernst Jünger

«Ce qu'il y avait de plus beau dans l'école c'était le chemin qui y conduisait : aussi Wolfram l'aurait-il prolongé le plus longtemps possible. Mais il serait arrivé en retard, et arriver en retard, c’était grave.»

Le ton est posé dès les premières lignes : Ernst Jünger s'en prend à l'école. Dans l'Allemagne des années 1900 (environ), Wolfram est un enfant qui ne parvient pas à s'intégrer dans l'institution scolaire. A cause d'une tournure d'esprit plus tournée vers la pensée libre que l'apprentissage par cœur de faits arbitraires, et avec comme conséquences quelques troubles de comportement. Les trois chemins du titre correspondent à trois étapes de sa scolarité, chacune porteuse de problèmes. On peut supposer, si l'on se fie à l'époque à laquelle se déroule le récit, que Jünger s'inspire de sa propre jeunesse pour composer ce portrait d'un enfant troublé et inadapté à son environnement. Enfin pas inadapté à tout, puisqu'il se sent bien quand il lit la nuit sous ses draps ou quand il marche dans un parc, sur le chemin de l’école. Publié à titre posthume, Trois chemins d'écolier a été écrit en 1991, alors que son auteur, si mes calculs sont bons, fêtait ses 96 ans. Un vieil homme qui se tourne ainsi vers l'enfance et achève son dernier livre sur un pied de nez à l'institution scolaire, c'est un plaisir.

80 pages, 1991, Christian Bourgeois

lundi 11 novembre 2013

Le Brouillard - Henri Beugras


Le Brouillard - Henri Beugras

Isidore Duval n'avait pas envie de passer une nuit inconfortable dans le train, alors il est descendu à une station inconnue dans l'espoir de trouver un hôtel. Mais quittant la gare en direction de la ville, il est pris dans un épais brouillard, la route se dérobe sous ses pieds, il manque de s'enliser dans un marais, et atteint finalement quelques bâtiments. Cette ville n'est pas comme les autres. Entourée d'un brouillard éternel, il est impossible de la quitter. La gare, l'aérodrome, les routes, tous ces lieux n’existent que pour les arrivants et se hâtent de disparaitre quand ils essaient de repartir dans l'autre sens. Et pire encore, les souvenirs de leur vie passée s'effacent également. Comment savoir alors s'il existe vraiment autre chose que cette ville, si elle ne constitue pas à elle seule la réalité perceptible ? Et si certains essaient de fuir par le fleuve ou de tenter leur chance dans le brouillard, leurs cadavres servent d’avertissement aux autres.

Isidore décide de ne pas se résigner et de tenter de fuir. C'est alors une lutte de tous les instants qui s'engage. En effet, il lui serait facile de s'attacher à cette ville, à ces habitants. D'y mener un vie presque normale, l'air de rien. Il perçoit comme des agressions les tentatives qui sont faites pour l'intégrer à cette société, il fuit les autres pour pouvoir partir sans regret. Le brouillard réussit très bien à faire ressentir au lecteur cet état d'esprit particulier. De même, les propriétés étranges de cet endroit ne peuvent manquer d'avoir des influences bizarres sur le comportement des habitants et l'organisation de la vie. Le roman étant très court, on aurait tout de même aimé en savoir un peu plus. Autre petit reproche, certaines parties du livres voient la narration devenir très confuse, pour transmettre l'état d’esprit troublé du narrateur ou ses errements dans le brouillard, mais ces passages ne m'ont pas spécialement convaincu. A part ça, Le brouillard est un très bon petit roman qui exploite bien son concept et se dévore avec un grand plaisir.

160 pages, 1963, l'Arbre Vengeur

dimanche 10 novembre 2013

La princesse de Clèves - Madame de Lafayette

La princesse de Clèves - madame de Lafayette

Dans La princesse de Clèves, ce qui m'a marqué dès le début, c'est le contexte : la Cour. Un lieu franchement insupportable, où règnent le mensonge, la tromperie, et plus que tout, la superficialité. Enfin, une fois qu'on s'y fait, on peut apprécier le roman à sa juste valeur, qui n'en manque pas. Il explore les mystères de l'amour en prenant en compte plusieurs facteurs importants : le mariage, le désir, et la jalousie. Avoir les deux premiers semble impossible. S'il y a mariage, il n'y a pas amour réciproque, s'il y a amour réciproque, le mariage est impossible. Pire, le mariage devient non souhaitable, car dans cette organisation artificielle de l'amour, ce dernier ne dure pas. Et dans tous les cas, il y a la jalousie, qui vient interférer tragiquement dans toutes (ou presque toutes, ma mémoire est perfectible) les relations évoquée dans le roman. Et si certains vont jusqu'à mourir d'amour, ce n'est jamais ridicule, contrairement à Balzac par exemple, car ce qui compte vraiment dans le roman, c'est la psychologie des personnages, et celle-ci est toujours très intéressante. L'obstacle attise l'amour, mais la peur de voir cet amour s'éteindre conduit à le fuir. L'organisation arbitraire de l'amour décidé par les hommes ne convient pas à la réalité du sentiment. Il en va de même pour les valeurs qu'ils ont intégrés. La solution se trouve-t-elle dans le rejet de la jalousie et du confort du mariage, pour que ne reste que la sincérité du désir ? Peut être. Mais pas pour la princesse de Clèves, qui choisit la fuite.

250 pages, 1678, Folio

vendredi 8 novembre 2013

Quelques jeux en vrac #1

Hitman 2 : Silent Assassin
Hitman 2 : Silent Assassin (2002)

Hitman 2 est toujours une petite perle dans le genre de l'infiltration. Une succession de nombreuses missions dans des endroit variés (Italie, Moscou, Japon ...) qui nous mettent aux commandes de l'Agent 47, tueur à gage glacial et calculateur. Ce qui fait la particularité et le charme d'Hitman, c'est son gameplay si particulier, sa façon unique d'envisager la discrétion. Ici, pas question de passer son temps à se cacher dans le noir comme dans Splinter Cell par exemple, on opère la plupart du temps parfaitement à découvert. Il faut donc s'intégrer à l'environnement, en changeant de fringues, en usurpant diverses identités, et en adoptant un comportement aussi peu suspect que possible. Si vous comptez transporter un fusil de sniper jusqu'à l'autre bout d'un niveau, vous risquez d'attirer l'attention ... Il y a toujours de nombreuses façons de terminer chaque mission, en massacrant tout le monde ou dans la discrétion absolue en usant de moyens détournés (empoisonnement de nourriture, pose d'explosifs dans les véhicules ...). Si quelques détails de level design sont à regretter, l'ensemble est extrêmement convaincant et demande beaucoup de réflexion et de patience au joueur si celui ci veut avoir la satisfaction de commettre le meurtre parfait.

anachronox
Anachronox (2001)

Anachronox est un jeu que j'aurai aimé pouvoir aimer. Un jeu de rôle futuriste, un antihéros un peu paumé et très sympatrique, une planète-ville (Anachronox) au design complétement fou, un scénario déjanté qui nous fait voyager, une bonne dose d'humour ... Tout cela donne envie. Mais le gameplay ne suit pas. Les combats, au tour par tour dans la plus pure tradition des JRPG, sont aussi basiques que soporifiques. Si les phases d'exploration sont prenantes grâce au charme de l'univers, les donjons sont un calvaire. On avance, on tombe sur un monstre, on clique sur "attaque" quand on peut et on attend que ça soit terminé .. puis on recommence. C'est d'autant plus frustrant qu'on a pas d'influence sur l'évolution des compétences des personnages. J'ai donc abandonné au bout d'un moment. Dommage, parce que le jeu est vraiment drôle et surprenant, par exemple avec cette civilisation totalement bureaucratique qui parodie le système démocratique, ou encore cette planète dédiée à la science qui ne vous acceptera que si vous portez une blouse de laboratoire et si vous répondez à un questionnaire scientifique incompréhensible.

fez
Fez (2012)

Fez est une petite merveille qui a su me séduire par surprise. Il a l'air d'un jeu de plate-forme classique : on incarne un petit personnage qui sautille dans un monde en 2D. Et pourtant, ce n'est pas du tout ça. Le monde est en 3D, et on peut changer la perspective à volonté pour progresser. Il n'y a pas d'ennemis, l'accent n'est pas mis sur la difficulté mais sur l'exploration, le dépaysement et les énigmes. On se retrouve largué dans un monde vaste et mystérieux, et l’on doit récupérer un certain nombre de cubes. Contrairement aux apparences, ce n'est pas du tout répétitif, puisqu'il n'y a aucune linéarité, on explore comme on peut, on progresse au fur et à mesure que notre compréhension de ce monde et de ces mystères s'améliore. Il faut même apprendre une sorte de nouveau langage ! Certaines énigmes sont extrêmement complexes, mais ce n'est pas grave, puisque la première fin du jeu ne nécessite la récupération que de la moitié des cubes. Ainsi, le joueur qui n'a pas envie de se casser la tête sur des problèmes totalement tordus a quand même la satisfaction de voir la fin du jeu, et les autres peuvent continuer s'ils le désirent. Ce concept original et maitrisé est allié à un style visuel splendide, qui ne se contente pas de surfer sur la vague rétro mais propose toute une thématique géométrique cohérente avec l'univers. Magnifique. Une expérience courte pour ceux qui comme moi se contenteront de la première fin, mais une expérience délicieusement dépaysante.

mark of the ninja
Mark of the Ninja (2012)

Forte de son expérience avec Shank 1&2, l'équipe de Klei Entertainment a eu la bonne idée de conserver le style graphique et l'aspect "action 2D" de ces deux titres, mais d'y apporter cette fois un peu de subtilité et de finesse. Dans Mark of the Ninja, en effet, il faut se glisser dans l'ombre, surprendre les gardes par derrière, se faufiler dans des passages étroits, utiliser ses gadgets à bon escient, observer avant d'agir ... Tous les ingrédients d'un bon jeu d'infiltration. Cela ne serait rien un level design qui sache proposer des défis intéressants au joueur, et heureusement, on est également servis de ce coté. Le jeu parvient a se renouveler et à offrir un bon sentiment de progression tout en laissant une certaine liberté au joueur pour résoudre les problèmes qui se posent à lui. Le scénario, bien qu'assez sommaire, est plaisant à suivre. Relativement long pour le genre, avec son style graphique très personnel et son gameplay nerveux et diablement efficace, Mark of the Ninja a tout pour lui.


shelter 
Shelter (2013)

Shelter est l'un de ces nombreux jeux indépendants qui sont avant tout un concept. Ici, on incarne un blaireau. Une mère blaireau, pour être précis. Et il vous faudra veiller sur vos cinq petits, ce qui ne sera pas facile. Non seulement il vous faudra explorer votre environnement pour trouver des quoi les nourrir, mais les dangers ne manquent pas. Oiseaux de proie, incendie, renards, rivière en crue ... Il est peu probable que vous parveniez à protéger tous vos petits. Si Shelter se démarque par son concept rafraichissant et son univers visuel unique, hélas, il ne vous tiendra occupé qu'une grosse heure. C'est extrêmement court, d'autant plus qu'il parvient à se montrer répétitif sur ce laps de temps réduit. L'originalité ne fait pas tout. Néanmoins, malgré son gameplay très limité, Shelter est une expérience qui se laisse parcourir avec plaisir.

La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman


La fabrication du consentement - Noam Chomsky / Edward Herman

La fabrication du consentement, De la propagande médiatique en démocratie, pour son titre complet, est originellement paru en 1988, mais a été revu et actualisé en 2002. Concrètement, cela se traduit par des mises a jour intégrées dans le texte, et aussi par des "compléments 2002" situés en fin de chapitres. Bref, ce livre propose au lecteur un modèle de propagande, qui vise à expliquer comment les principaux médias "fabriquent le consentement", de nombreux exemples à l'appui. L'organisation du livre est logique: tout d'abord, le modèle de propagande nous est présenté théoriquement sur une centaine de pages, puis vient la confrontation du modèle avec la réalité historique sur 500 pages.

Le modèle de propagande est basé sur cinq filtres que l'information doit traverser avant d’être jugée digne d’intérêt. Le premier filtre, c'est l'orientation lucrative des médias. Pour la plupart possédés par un nombre très restreint de grosses corporations, les médias servent ainsi indirectement des intérêts bien précis. Pour continuer dans le sens de l'orientation lucrative, le second filtre est celui de la publicité. Outre le fait que les médias sont ainsi encore plus vulnérables aux influences des puissances économiques qui peuvent les priver de leur principale source de revenu, cette focalisation sur la publicité contribue à "baisser le niveau". Une publicité pour McDonalds à plus d’intérêt à se trouver au milieu d'un épisode de Koh Lanta que d'un documentaire de deux heures sur le monopole des chaines de restauration rapide, ses conséquences sur les habitudes alimentaires de la population ou encore sur l'emploi des jeunes. Troisième filtre, les sources de l'information. La focalisation se fait sur l'information facile : people, sport, faits divers et communiqués officiels. Il faut faire de l'argent et économiser sur les couts, alors évidemment, moins on va chercher loin, plus l'on fait d'économies. De plus, les sources divergentes seront généralement considérées comme non fiables, alors qu'un communiqué officiel ne générera guère de vérification avant mise en forme et publication. Quatrième filtre, contre-feux et autres moyens de pression. Les informations qui déplaisent aux sources de pouvoir ne peuvent manquer de générer des protestations, menaces judiciaires et autres pressions. Enfin vient l'anticommunisme, aujourd'hui un peu dépassé, il pourrait être remplacé par la notion de pro-capitalisme, ou les autres orientations idéologiques qui semblent aller de soi.

Pour ce qui concerne l'application du modèle de propagande aux faits historiques, le ton change un peu, on a presque l'impression de lire un livre d'histoire, et ce n'est pas pour me déplaire. Il faut en effet exposer les faits avant d'analyser la représentation que les médias en ont fait. Les auteurs se pencheront sur divers massacres ayant eu lieu dans des pays clients ou non des États-Unis, et sur la différence de traitement qui en découle. Puis, dans ces mêmes pays (Salvador, Guatemala, Nicaragua), ils analysent la façon dont sont traitées les élections plus ou moins démocratiques qui y ont lieu. Dans ces deux cas, c'est l'occasion de constater que le point de vue (ou l'absence de point de vue) des médias correspond d'une façon remarquable à une vision de monde qui déforme voir occulte la réalité dans l’intérêt de la politique étrangère Américaine. Vient ensuite le "complot de la filière Bulgare", une interprétation de la tentative d'assassinat contre Jean Paul II qui bien que ne reposant sur rien, occupe l'attention des médias car elle sert à discréditer les ennemis de l'Amérique. On termine avec un gros morceau : les guerres d'Indochine. Le Vietnam, puis le Laos et le Cambodge. Il est vraiment impressionnant de constater à quel point les États-Unis, se comportant en envahisseurs et massacrant des millions de civils, parviennent à se faire passer pour des défenseurs de la liberté. Et quand dans les médias on trouve des avis divergents, ils concernent la stratégie à adopter et le gâchis de ressources et de vies américaines, mais ne remettent pas en cause les bienfondés idéologiques et moraux de ces opérations. Opérations qui par ailleurs sont généralement tout simplement occultées.

La fabrication du consentement est un livre passionnant et éclairant. Outre sa grille de lecture et d'analyse des médias américains (qui peut facilement être adaptée aux gros médias internationaux en général), son intérêt vient aussi de son aspect historique. Les différents événements évoqués sont longuement décortiqués, et la période des guerres d'Indochine est particulièrement intéressante et édifiante. Et pas de souci à se faire sur l'actualité des propos tenus en 1988 et 2002, l'Amérique d'aujourd'hui a sans surprise continué dans le sens décrit ici.

Plutôt que mon avis assez maladroit, mieux vaut lire l'introduction du livre.

600 pages + 70 pages de notes/index, 1988, revu et actualisé en 2002, Agone

lundi 28 octobre 2013

Identification des schémas - William Gibson


Identification des schémas - William Gibson

Ma première rencontre avec William Gibson, dans le pourtant très renommé Neuromancien, a été plutôt décevante. Mais j'ai lu beaucoup de bonnes choses sur celui-ci, qui est d'un tout autre genre. Exit la mégalopole cyberpunk, et bienvenu dans le monde contemporain. Qui n'est pas forcément moins étonnant.

Cayce est "consultante en design", selon le quatrième de couverture. En fait, elle est chasseuse de cool, une fonction que j'ai pu bien comprendre grâce à No Logo. Tiens, à propose de logos : Cayce a une allergie bien particulière. Ce qui la rend malade, au sens propre, ce sont certaines marques, certains logos. L'accumulation de marketing hypocrite qui tente de faire exister l'inexistant. Cayce, habituée à décrypter les sous cultures, va être amené à s'intéresser tout particulièrement à un phénomène très étrange : le Film. Une oeuvre anonyme, diffusée par petits morceaux sur le net, qui crée chez certaines personnes un engouement incroyable. Ne reste plus qu'a en trouver les auteurs.

Identification des schémas est un roman réaliste. Cependant, on retrouve un intérêt tout particulier pour ce qui définit notre monde moderne, comme le marketing, les réseaux de communication,les grandes métropoles, internet ... On sent que cette vision est celle d'un auteur de science fiction, et c'est cette vision du monde contemporain par un auteur habitué à l'anticipation qui rend le roman si particulier et intéressant. L'écriture est bien plus claire et facile à suivre que dans Neuromancien, tout en gardant quelques bizarreries assez indéfinissables, mais qui cette fois n'entravent pas la compréhension générale. Les personnages, quand à eux, sont particulièrement convaincants. Cayce, notamment, est très ... crédible, vraie. Il en va de même pour les autres, notamment cet ami qu'elle ne connait que par internet et par téléphone. La trame n'est pas particulièrement marquante, ce qui est réussit, c'est plutôt la place que les personnages y occupent, et les thèmes abordées. Ces détails additionnés contribuent à donner à Identification des schémas une véritable personnalité. Je ne considère pas ce roman comme une claque, mais il est incontestablement très plaisant, et surtout, intrigant et original, assez unique. Une expérience à tenter.

2003, 442 pages, Le livre de poche

dimanche 27 octobre 2013

L'homme qui marchait sur la Lune - Howard McCord


L'homme qui marchait sur la Lune - Howard McCord

La Lune en question, c'est une montagne située dans un coin perdu, aussi désertique et aride que notre satellite, d'où son nom. L'homme, William Gasper, est un être mystérieux. Extrêmement solitaire, sans autre domicile qu'un container pour stocker ses quelques affaires, il passe la majorité de son temps à marcher. Condition physique excellente, capacités intellectuelles non négligeables, goût pour la survie en milieu hostile ... Il attise la curiosité. Rapidement, sous ses apparences de voyageur au style de vie épuré, on comprend que se cache un homme habitué à la violence. Et peut être un peu fou. Mais c'est aspect là, c'est au lecteur d'en décider. William Gasper est habité aux longues sessions de marche sur la Lune. Mais cette fois, il n'est pas seul. La chasse est ouverte.

L'homme qui marchait sur la Lune, c'est d'abord un fantastique roman sur la marche et l’isolement de l'homme dans la nature hostile. Que ce soit sur les détails organisationnels ou les réflexions sur la solitude, on est servi. Ensuite, c'est violent et impitoyable. Tuer ou être tué, les hommes lâchés dans la nature redeviennent des bêtes. Des bêtes aux capacités meurtrières décuplées par l’intellect et l'expérience. Et enfin, c'est beau. La nature rocheuse et désolée est belle, l'homme qui s'y détache est beau, malgré sa violence et sa folie, et l'écriture, confession à la première personne, est belle.

L'homme qui marchait sur la Lune est un court roman qui assure. Difficile de décrocher devant tant de maitrise. Si l'on est sensible aux thèmes de la marche, de la solitude et de la traque en milieu hostile, c'est le jackpot.

1997, 136 pages, Gallmeister

dimanche 20 octobre 2013

Les meilleurs récits de Amazing Stories


Les meilleurs récits de Amazing Stories

Rapide présentation extraite de la quatrième de couverture : "Amazing Stories est la plus ancienne revue de science-fiction au monde. C'est grâce à elle que la SF a pu se constituer en genre littéraire séparé dans les années 30." Hop, c'est parti pour une petite leçon d'histoire.
  • Abraham Merrit est présenté comme ayant été un modèle pour Lovecraft, et l'on comprend pourquoi avec Les êtres de l'abime (1919). Un coin perdu et mystérieux, des explorateurs, une civilisation oubliée et clairement non humaine ... Il y a de quoi s'amuser avec de tels ingrédients, et cela fonctionne plutôt bien. Un bon texte qui lorgne plus vers le fantastique que la SF.
  • Dans L'arrivée des glaces (1926) de Peyton Wertenbaker, un homme immortel profite de ses derniers instants, dans plusieurs millions d'années, pour nous raconter sa vie. On a donc droit à une petite histoire du futur très plaisante, accompagnée d'intéressantes réflexions sur l’immortalité. Pas mal du tout. 
  • La guerre du lierre (1930) de David Keller a un titre très évocateur. Un maire, un explorateur et un biologiste se rendent compte qu'une espèce de lierre un peu trop intelligente et dangereusement vivace serait à l'origine de l'abandon de villes antiques ... et pourrait faire un petit come back. Un chouette récit de lutte contre un envahisseur végétal.
  • Le dernier homme (1929) de Wallace West est une dystopie qui a un peu (beaucoup) vieillie. Le dernier homme en question n'est pas le seul survivant de l'humanité, mais bien le dernier homme : les femmes dominent le monde. Dans une société productiviste et décadente, les femmes, n'ayant plus besoin de plaire (la reproduction est prise en charge par une machine et les hommes, devenus inutiles, ont été éliminés), ont perdu leur "féminité" et sont devenues presque asexuées. Cette vision de la sexualité féminine n'ayant plus de raison d’être sans les hommes est aujourd'hui assez marrante. Sinon, le dernier homme va se trouver une femme à l'ancienne (c'est à dire sexuée et sensuelle), et ils vont partir dans la montagne fonder une nouvelle civilisation ... à deux. Mouais. Un texte sympathique à lire d'un point de vue historique, mais guère plus.
  • On continue dans la dystopie avec Les cités d'Ardathia (1932) de Francis Flagg, un texte assez inspiré de Métropolis. On y retrouve la classique division de la société entre classe laborieuse et classe dominante. Un révolution se prépare, et une jeune privilégiée va découvrir l'enfer quotidien des ouvriers. Malgré ces thèmes aujourd'hui dépassés et mille fois revus, cette nouvelle s'en sort bien, notamment grâce à sa fin qui se projette 500 ans dans le futur pour observer les conséquences des événements décrits précédemment.
  • Le sous-univers (1928) de R.F. Starzl parvient en dix pages à aligner un nombre assez incroyable d'absurdités. Un savant envoie sa fille et son assistant dans l’infiniment petit, et la nouvelle embrasse la théorie selon laquelle les atomes sont des univers propres à une autre échelle, dans lesquels le temps s'écoule à une vitesse infiniment plus rapide. Le savant a fait des expériences en envoyant et ramenant des objets, mais cela ne tient pas debout : selon les chiffres donnés à la fin de la nouvelle (30 minutes dans le sous-univers = des millions d'années dans le notre), un objet qui y resterait 5 secondes à notre échelle y passerait en fait des millénaires, et serait donc réduit en poussière ou au moins suffisamment  amoché pour éveiller quelques soupçons. Ensuite, il envoie des animaux, qui bien sur ne reviennent pas. Il suppose que les animaux sont tout simplement partis gambader de leur coté. Il n'a absolument pas l'idée d'envoyer un lapin dans une cage pour vérifier. Bien sur, quand vient le tour de sa fille et de son assistant, les choses tournent mal. En essayant de les ramener 30 minutes plus tard, il se retrouve avec sur les bras des membres d'une civilisation humaine ayant vécu des millions d'années depuis l'arrivée de ses deux membres fondateurs. Bon, alors c'est la deuxième fois déjà dans ce recueil : non, on ne fonde pas une civilisation à deux. Ensuite, que ces humains, après des millions d'années d'évolution, aient conservé la même apparence physique, c'est déjà peu probable, mais en plus qu'ils parlent anglais ... 
  • Dans La planète au double soleil (1932) de Neil R. Jones, un humain ayant passé des millions d'années en stase été récupéré par une sorte de race-machine d’explorateurs curieux, et après la greffe de son cerveau dans un corps de métal, il a rejoint leurs rangs. Les joyeux compères décident d'aller visiter une planète dans un système possédant deux soleils, et bien sur les choses vont mal tourner. Au final, on a un bon récit d'exploration faisant beaucoup penser à Pitch Black, qui charme grâce à ses personnages extraterrestres et sa fin réussie.
  • Armageddon 2419 (1928) de Philip Francis Nowlan est célèbre pour être à l'origine de Buck Rogers, héros qui a été ensuite décliné en BD et série TV. C'est la plus longue nouvelle, mais pas la plus intéressante, je n'en ai lu que 20 pages avant de laisser tomber. Dans le futur, les Mongols dominent le monde (si si) et les membres de la "race" Américaine vivent dans la forêt en attendant de prendre leur revanche. Le style très mou n'aide pas à franchir de cap de ce pitch pas vraiment tentant.
Si la dernière nouvelle, la plus longue, avait été plus intéressante, ce recueil aurait été globalement très bon. Malgré tout il s'en sort plutôt bien. C'est avec plaisir que l'on découvre les origines de la SF Américaine, et si parfois l'on peste un peu, au moins on ne peut que mieux comprendre et apprécier l'évolution du genre depuis 80 ans.

Dans le même genre (en mieux et plus orienté fantastique) sur ce petit blog : Les meilleurs récits de Weird Tales 1, Les meilleurs récits de Unknown

312 pages, Le livre de poche

mardi 15 octobre 2013

Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson


Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson

Déjà, je dois quand même préciser que lire Dans les forêts de Sibérie juste après Walden de Thoreau, qu'on le veuille ou non, ne peut manquer de faire naitre dans l'esprit du lecteur (le mien en l’occurrence) certaines comparaisons pas forcément pertinentes. Je vais essayer de les mettre de coté.

Sylvain Tesson décide donc de partir vivre 6 mois sur les rives du gigantesque lac Baïkal, dans une petite cabane isolée de neuf mètres carré. Logiquement, on a droit à un récit d’ermitage. Ce qui frappe le plus, c'est la température : jusqu'à moins trente degrés. Pas mal de gens se seraient choisis un coin un peu plus tempéré, mais c'est cet exotisme qui fait le charme du livre. Et pour oublier le froid, la vodka coule à flot. La place de l'alcool est vraiment étonnante dans ce récit, la vodka accompagne toujours les rencontres avec les locaux (qui par ailleurs sont très bien décrits, en tant que Russes typiques), mais aussi de nombreuses soirées solitaires de Sylvain Tesson. Cela contribue à rentre l'ensemble sinon déprimant, du moins pas très gai. Il fait froid, il a la gueule de bois, des ours rodent, il manque de se noyer dans le lac, il y a une tempête, quand le soleil se pointe il amène les moustiques avec lui, il se fait larguer par sa copine ... Par contre, l’ordinateur qui implose au bout de quelques jours, ça c'est plutôt marrant. Et mon expérience personnelle (certes beaucoup, beaucoup plus modeste) approuve : seul dans la nature, on souffre, on est fatigué, on galère, mais au final on se sent libre, vivant, et on adore ça.

Au niveau de l'écriture, c'est maitrisé. Un style simple et fluide, une progression chronologique au jour par jour, le récit des faits agrémenté de nombreuses réflexions souvent pertinentes (quoique pas très développées). C'est plutôt léger, mais dans le bon sens du terme : ça se lit tout seul tout en étant relativement riche. Un petit point qui m'a gêné cependant. Sylvain Tesson revient souvent sur la définition de l’ermite, le fait de refuser de faire partie du monde, d’être totalement indépendant ...  C'est oublier un peu vite d'où viennent les caisses de nourriture qui lui permettent de survivre, sa vodka, ses cigares, ses panneaux photo-voltaïques, son canoé en kit, ses livres ...  

Au final, Dans les forêts de Sibérie est un très sympathique récit fort bien écrit qui fait plonger sans difficulté le lecteur dans les joies sibériennes. Par contre, mieux vaut ne pas s'attendre à une folle aventure pleine de danger et de solitude absolue : Sylvain Tesson passe la plupart de son temps à se balader, lire, recevoir des pêcheurs russes ou des amis français et dire du mal de la société qu'il a quitté. Une petite citation pour finir : "Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer."

 2011, 290 pages, Folio

samedi 12 octobre 2013

Walden - Henry Thoreau


Walden - Henry Thoreau

Walden, c'est le nom du lac auprès duquel Thoreau passa deux années de vie dans une petite cabane construite de ses mains, de 1845 à 1847. Et Walden, c'est aussi le nom d'un étrange objet littéraire.

Mais qu'est-ce donc ? Un essai, un récit, un roman philosophique, une autobiographie, du nature writing ? Walden rentre difficilement dans les cases. Disons qu'il rentre un peu dans chacune. Thoreau nous parle beaucoup de lui, et de ses opinions. Il est loin d’être misanthrope, il ne s’exile pas pour fuir ses semblables. Il a même beaucoup de contacts humains : il va régulièrement au village situé non loin, il reçoit la visite de nombreux amis, et apprécie la compagnie de visiteurs inattendus, les bois du XIXème siècle étant bien plus animés que les nôtres. Pour mieux comprendre ses motivations, rien ne vaut une citation. Et comme je cède à la facilité, voici celle qui se trouve en quatrième de couverture : "Je suis parti dans les bois parce que je voulais vivre de manière réfléchie, affronter seulement les faits essentiels de la vie, voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à m'enseigner, et non pas découvrir à l'heure de ma mort que je n'avais pas vécu. Je ne désirai pas vivre ce qui n'était pas une vie, car la vie est très précieuse; je ne désirais pas d'avantage cultiver la résignation, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Je désirai vivre à fond, sucer toute la moelle de la vie, vivre avec tant de résolution spartiate que tout ce qui n'était pas la vie serait mis en déroute."

Des citations, à la lecture de Walden, on serait tenté d'en garder beaucoup en mémoire. En effet, le livre n'est pas construit autour d'une narration fluide, ce sont souvent de courts paragraphes évoquant divers thèmes chers à Thoreau de façon presque sentencieuse, on dirait parfois des aphorismes. Il fait l'apologie d'un mode de vie simple et épuré, d'un retour aux sources. Il veut cultiver autant son champ de haricots que son moi profond plutôt que de se livrer à un quelconque travail absurde pour accéder à une aisance matérielle illusoire qui ne peut que détourner de la vérité. "Plutôt que l'amour, l'argent ou la gloire, donnez moi la vérité." Thoreau semble très sur de lui, et certains ne manquerons pas de lui trouver un coté prétentieux assez dérangeant. Certes, il met en avant son mode de vie comme étant meilleur que celui de la plupart de ses contemporains, mais pourquoi pas ? Qu'on soit d'accord ou non avec ses opinions, il n'y a pas grand chose à reprocher à ce mode de vie contemplatif, qui tend vers l'auto-suffisance, l'exploration de soi-même et la pensée critique.

Et les idées de Thoreau, plus de 150 ans après l'écriture de Walden, sont pour la plupart d'une actualité frappante. Dans un occident plus urbanisé que jamais dans lequel on peine à se souvenir que notre nourriture prend racine dans la terre (ou du moins est censée le faire), dans une France où un paysan se suicide tous les deux jours, la question du rapport à la nature et au sauvage est plus pertinente que jamais. Walden ne transformera pas ses lecteurs en joyeux habitants des bois, mais il ne peut qu'encourager une pensée critique et autonome vis à vis de la société qui est la notre. Et pour ça, Walden est une œuvre à lire, même si les passages dans lesquels Thoreau décrit longuement la nature, le lac, l'hiver, le chemin de fer ou encore les petits animaux de la forêt sont à mon sens bien moins passionnants que les parties consacrées à la critique sociale. Enfin, je suppose que c'est là le cœur de l’expérience de Thoreau pendant ces deux années, il ne serait donc absolument pas pertinent de lui reprocher ces variations qui peuvent sembler un peu trop vaines et bucoliques aux citadins désabusés que nous sommes pour la plupart.

336 pages, 1854, Le mot et le reste

samedi 21 septembre 2013

La tour des damnés - Brian Aldiss


La tour des damnés - Brian Aldiss

La tour des damnés est une grosse nouvelle (un peu plus d'une centaine de page) qui aborde le thème de la surpopulation. En Inde, une étrange expérience a été lancée 25 ans plus tôt. 1500 jeunes couples se sont vus offrir une vie de sécurité et d'abondance dans la Tour. Mais sans accès à aucun moyen de contraception et de contrôle des naissances. Et voilà que 25 ans plus tard, ils sont 75000 dans la Tour, dont une majorité d'enfants, dont le cycle de vie a été terriblement accéléré. Les conditions de vie sont donc devenues extrêmement difficiles, employer le terme de promiscuité forcée serait un euphémisme.

Déjà, passer de 1500 personnes à 75000 en 25 ans, cela me semble un poil exagéré. Mais bon, je ne connais rien à la science de la gestion de la population, alors admettons. Le récit, entrecoupé d'extraits d'un rapport nous en apprenant plus sur la Tour d'un point de vue extérieur, s'attache tout d'abord à nous raconter la difficile vie d'une famille dans la Tour. Ensuite, le monde du dehors va envoyer un messager dans la Tour, avec pour mission de trouver des traces de perceptions extra-sensorielles chez les locaux. Et au final, il devra aider à répondre à une grande question : faut-il laisser tomber l'expérience ?

Le tout est très intéressant, c'est de la bonne SF à dimension sociale. La Tour est un milieu créant un monde nouveau, avec ses propres règles. Cet environnement va jusqu'à modifier le corps, lui donner de nouvelles capacités. Et il modifie l'esprit, en créant une nouvelle normalité. Comment quelqu'un ayant passé sa vie dans Tour peut-il envisager l'extérieur ? De la même façon, le point de vue du monde extérieur est complexe : faut-il faire cesser cette expérience créant des conditions de vie inhumaines, ou laisser vivre ces gens dans ce qui leur semble la normalité et tirer profit de l'expérience ? C'est là qu'on reconnait un bon texte de de SF, il pose des questions originales mais importantes et ouvre des fenêtres vers des façons différentes d'envisager notre environnement. Par contre, à la fin du livre sont cités quelques ouvrages traitant du même sujet, notamment Tous à Zanzibar de John Brunner et Les monades urbaines de Robert Silverberg, et il faut bien dire que ces deux là sont quand même nettement plus riches et plus complexes. Enfin, ce n'est pas le même format. Dans un autre genre, à savoir la BD (ou roman graphique), je recommande aussi le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette.

105  pages, 1968, Le passager clandestin Dyschroniques

Les avis de Nébal, le dévoreur de livres, ActuSF

mercredi 18 septembre 2013

L'homme que les arbres aimaient - Algernon Blackwood


L'homme que les arbres aimaient - Algernon Blackwood

Première chose, ce recueil a un titre magnifique. Sérieusement, L'homme que les arbres aimaient ... c'est splendide ! Ensuite, l'illustration de couverture mérite les mêmes qualificatifs. Difficile de partir aussi bien avant même d'ouvrir le livre. Et quand on l'ouvre, on tombe tout d'abord sur une introduction qui nous présente Algernon Blackwood, auteur assez méconnu dans nos contrées. On apprend notamment qu'il a connu le succès de son vivant, en Angleterre.

  • La première nouvelle, Les saules, est aussi bien que l'on pouvait l'espérer. Deux compagnons partent faire un voyage en canoé sur le Danube, et une nuit, dans un coin particulièrement sauvage, alors que le niveau du fleuve monte, ils bivouaquent sur une petite ile. Une petite ile sur laquelle poussent de nombreux saules. Le talent de Blackwood en ce qui concerne la description de la nature sauvage saute au yeux, il parvient à donner vie à l'environnement et à la végétation. Il ne se passe pas grand chose, mais qu'est ce que c'est bien ! Une ambiance, une atmosphère ... Les amateurs de randonnée devraient apprécier. 
  • Dans Passage pour un autre monde, un chasseur possédant la connaissance instinctive d'un monde différent du notre, un monde de la nature habité par des êtres inconnus, va être amené à s'en approcher d'un peu plus près. Un autre texte efficace sur les mystères de la nature, mais tout de même un peu moins enthousiasmant que le précédant.
  • Avec le Piège du destin, on change de sujet, direction une maison hanté. Trois personnages vont devoir passer une nuit dans une maison à la réputation plus que douteuse. On dit que le taux de suicide y est anormalement élevé ... Cette histoire a une particularité, à propos des trois personnages : il y a le mari, l'épouse et ... son amant. Un récit d'horreur tout en retenue agrémenté d'un triangle amoureux, pour un excellent résultat. 
  • On arrive ensuite à la nouvelle la plus longue du roman, Celui que les arbres aimaient, qui fait plus de 100 pages. Retour dans les bois. Le titre est en fait un résumé de l'histoire. Un homme, habitant une maison en bordure d'une grande forêt, a une relation particulière avec les arbres. Ils les aime, et ils l'aiment en retour. L'histoire est surtout vue des yeux et des sentiments de la femme de cet homme, une femme a l'esprit assez étroit qui n'a dans sa vie rien d'autre que son mari et son Dieu, et les arbres lui réclament le premier et lui font se poser des questions qui font chanceler sa croyance dans le second. Clairement, ce point de vue particulier est la grande force de cette nouvelle. Sinon, il ne se passe tout de même pas grand chose, et Blackwood a beau écrire particulièrement bien et exceller dans les descriptions des états d’âme des personnages comme dans celles des forces de la nature, c'est parfois un peu long. Rien qui n’empêche de profiter des grandes qualités de ce texte cependant.
  • Et pour finir, La folie de Jones. Un employé à l'apparence tout à fait normale est en fait passionné par l'idée de réincarnation, et est persuadé d'avoir des comptes à régler remontant à plusieurs centaines d'années. Est-il fou ou bien ses croyances sont-elles réelles ? Au lecteur de décider. Quoi qu'il en soit, vraiment un très bon texte, qui aborde superbement le thème de la folie ... ou de la réincarnation.
Blackwood porte bien son nom. Ces cinq nouvelles sont chacune de grande qualité, et ont pour particularité d’être assez sobres. L'essentiel se passe dans le ressenti des personnage, l'impression de n’être rien face à la puissance de la nature, une nature sauvage et inconnue qui appartient à un monde auquel nous ne comprenons rien. Parfois, comme dans les histoires de Blackwood, ce monde mystérieux s'ouvre un peu à nous ... et se serait dommage de passer à coté.

354 pages, l'Arbre Vengeur

Les avis de Nébal, La maison muette

mardi 10 septembre 2013

Stalker - Arkadi & Boris Strougatski


Stalker - Arkadi & Boris Strougatski

J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer les mystères la Zone, grâce au magnifique film de Tarkovski (1979). Et même de m'y balader dans Stalker: Shadow of Chernobyl (2007), Stalker: Clear Sky (2008) et Stalker: Call of Pripyat (2010). Dans ces adaptations, la Zone se retrouve transposée à Chernobyl. Ce qui n’empêche pas ces jeux d’être très bons, notamment grâce à leur ambiance à couper au couteau et leur coté survival. Enfin, je n'en ai fini aucun des trois, j'ai été à chaque fois découragé par une difficulté mal gérée ou carrément bloqué par de gros bugs ... Et malheureusement, Stalker 2 a été annulé après la fermeture du studio, faute d'avoir trouvé un éditeur.

La Zone originale, celle des frères Strougatski, n'est pas unique. Il y en a plusieurs, de ces cicatrices laissées sur Terre par le passage des visiteurs, et celle qui est cœur du récit semble être en Europe de l'est. Elle abrite des dangers terrifiants, mais aussi des trésors étranges, incompréhensibles, aux propriétés parfois très utiles. Et bien sur, il y a des hommes pour braver les dangers des la Zone à la recherche de ces artefacts: ce sont les stalkers. Ils sont motivés par l'argent, mais pas seulement. La Zone en elle même est peut-être un aimant pour un certain type de personnes. Le lecteur suivra la vie de Redrick, l'un de ces stalkers, qui malgré les dangers, malgré les risques pour sa famille, malgré la prison, continuera au fil des ans à explorer la Zone pour en rapporter des objets étrages et les vendre au marché noir.

Stalker n'est pas un roman dans lequel l'aspect SF occupe le premier plan. Il fournit une toile de fond, un univers modifié et torturé dans lequel les personnages peuvent évoluer. Par exemple, on ne saura rien sur les extraterrestres impliqués dans la création des Zones. Ce qui par contre est au cœur du roman, c'est le réalisme social, et disons l'humanité en général. L'écriture va dans ce sens, très orale, laissant la place aux pensées de personnages réalistes et crédibles. Pas d’héroïsme, juste des gens qui essaient de survivre en se faisant un peu de fric. Stalker ne se lit pas toujours de façon très fluide parce que justement il ne privilégie pas l'action (sauf si l'on considère comme "action" l'oppressante l'exploration de la Zone), il installe une atmosphère lourde, puissante, oppressante, aussi bien dans la Zone que dans la ville qui la borde, où tout n'est que tension morbide. Parfois, deux personnages peuvent se supporter assez longtemps pour échanger de grandes interrogations sur le véritable sens de la Zone et la place de l'humanité dans ce grand jeu cosmique. Puis ils boivent, boivent encore, et retournent à leurs gagne-pains.

Stalker n'est pas un roman que l'on peut qualifier d'attachant ou même de plaisant à lire, non, c'est un roman fascinant, qui explore plus les tréfonds de l’âme humaine que ceux de la Zone. Il s'en dégage une atmosphère d'une puissance rare, une atmosphère dans laquelle une humanité crasseuse survit en rampant péniblement dans l'inconnu. On comprend aisément que le roman des frères Strougatski ait pu jusqu'à aujourd'hui inspirer d'autres créateurs.

209 pages, 1972, Denoël Lunes d'encre

Il y a tellement d'avis sur ce livre qui trainent sur le net que j'ai la flemme de mettre des liens.

Stalker clear sky

dimanche 8 septembre 2013

La cité du gouffre - Alastair Reynolds


La cité du gouffre - Alastair Reynolds

Après L'arche de la révélation, Alastair Reynolds reste dans le même univers mais délaisse (un peu) les épopées spatiales et les extraterrestres tueurs pour concentrer son action en un lieu unique.

Tanner Mirabel est un héros à l'ancienne : musclé, déterminé, et amateur de blagues douteuses même dans les situations les plus tordues. Ainsi, après l'assassinat de son employeur et de la femme de ce dernier, il file aussitôt sur une autre planète à la poursuite du meurtrier, Reivich, pour accomplir sa vengeance, comme tout homme un tant soit peu viril ferait. Cela semble un peu étrange, d'autant plus que Reivich n'agissait que par revanche et était dans son droit, mais cette situation est clarifiée plus loin dans l'histoire. Bref, la planète sur laquelle se déroule la plus grande partie de l’action s’appelle Yellowstone, et la ville, c'est Chasm City. Et là, on touche à la grosse particularité du roman : cette ville a été sept ans auparavant totalement ravagée par la pourriture fondante, une sorte de peste bio-électronique qui s'attaque à toute machine un peu trop complexe et à tout humain possédant des implants ou des nanomachines dans son corps. Et les résultats ne sont pas beaux à voir. Ainsi, la ville est totalement transformée, à moitié détruite. Les machines sont devenues folles, les immeubles ont évolués chaotiquement comme des plantes sauvages et la technologie se fait rare. Du moins pour ceux qui vivent au sol, car dans les hauteurs nichent les riches, les puissants et les immortels qui, grâce à une mystérieuse drogue, se débrouillent pour maintenir leur santé malgré la peste.

Et, en parallèle, Tanner est étrangement victime de flashs mémoriels le mettant dans le peau de Sky Haussmann, capitaine à la réputation pour le moins douteuse de la flotte qui a apporté les humains sur la planète de Tanner 400 ans plus tôt. Tout cela fonctionne vraiment bien ensemble. La trame s'oriente petit à petit sur des questions de mémoire et d'identité, mais n'en disons pas trop. On a même droit à quelques extraterrestres, j'avoue que ça m'aurait manqué un peu.

C'est bien beau tout ça, mais malheureusement ce n'est pas sans défauts. Le principal concerne l'écriture d'Alastair Reynolds. Disons qu'il m'a souvent semblé que les personnages, dans leurs dialogues et leur comportement, manquent de crédibilité. Un petit exemple. Tanner, perdu dans la ville, recherche quelqu'un nommé Zebra. Il croise un groupe de fêtards. Voici ce qu'il se dit : "Un plan, plutôt mince, m’apparut : j'allai me mêler au groupe et essayer de découvrir si l'un d'eux connaissait Zebra". Mais ... mais ... franchement, qui agirait comme ça ? Bon, ce n'est qu'un exemple, mais il est révélateur du manque de naturel dans le comportement des personnages. De la même façon, la plongée dans la folie de Sky Haussmann n'est pas très bien rendue. Cela casse un poil l'immersion et la crédibilité de l'ensemble.

Mais à part ça, il faut bien reconnaitre que La cité du gouffre a beau être un sacré pavé, il se lit très vite et sans effort tellement l'ensemble est bien foutu. L'univers, tout d'abord, est totalement réussi. Cette cité en ruine est vraiment attachante. Et, malgré l'écriture parfois très perfectible d'Alastair Reynolds, ses occupants aux motivations douteuses aussi. Ils passent en quelques instants d'alliés a ennemis, Tanner leur tire dessus puis cinq minutes après prend un café avec eux, c'est assez marrant.  Les petites escales dans le vaisseau de Sky Haussmann et dans la jungle de la planète de Tanner sont vraiment les bienvenues, elles s'intègrent parfaitement au récit. L'histoire est particulièrement centrée sur les personnages, mais n'oublie pas d'intégrer aussi des éléments qui relient le tout à une trame d'une ampleur bien plus importante. Bref, pour qui a envie de gros pavés de SF accessibles mais également riches et complexes, Alastair Reynolds semble être un très bon choix.

959 pages, 2001, Pocket

Les avis de Bifrost, sci-fi universe et Noosfere

mercredi 4 septembre 2013

Le Golem - Gustav Meyrink


Le Golem - Gustav Meyrink

Encore un bouquin sur lequel il m'est difficile d'écrire. La raison est simple : le roman prend place dans la partie juive de Prague, et tout son déroulement est largement influencé par diverses traditions judaïques (notamment la Kabbale). Ainsi, les symboles sont légion et l'absence de connaissance de cette culture est un peu handicapante. Et pourtant, la lecture du Golem m'a vraiment enthousiasmé.

Tout d'abord, le golem n'est pas vraiment un élément central du roman. Parce que, à moins que j'ai mal compris certaines choses (ce qui ne serait pas étonnant vu que je ne connais rien aux thèmes traités), le golem n'est pas tellement au cœur du récit. Il s'agit d'une multitude de mythes de Prague et de légendes juives, dont celle du golem, mais pas seulement. Et au milieu de tout ça, Pernath, le narrateur. Un homme perturbé, un peu fou, à la mémoire incomplète et sujet à des hallucinations mystiques qui semblent ne pas émerger simplement de son esprit. Le Golem est un roman assez perturbant, non seulement à cause des thèmes traités, mais aussi par sa construction : elle n'est pas fluide, les éléments ne s'enchainent pas de façon logique, on passe parfois d'une chose à l'autre sans comprendre ce qui s'est vraiment passé. Heureusement, l'écriture de Meyrink est particulièrement belle, et il parvient à créer une atmosphère extrêmement puissante. L'étrange et le bizarre sont partout, et il est difficile de faire la différence entre le fantasme et la réalité. La vie dans les ruelles brumeuses de Prague, l'ambiance malsaine et hallucinée, l'omniprésence des mythes et les difficiles relations de voisinages avec des personnalités fascinantes comme repoussantes, et même l'horreur de la prison et de l'absurdité administrative, il y a beaucoup de choses dans le roman de Meyrink. Ainsi, Le Golem est un livre très particulier et parfois difficile à aborder, mais c'est certainement un chef d’œuvre de la littérature fantastique. 

248 pages, 1915, Bibliothèque Marabout 

vendredi 30 août 2013

Mother London - Michael Moorcock


Mother London - Michael Moorcock

Mother London trainait depuis quelques années dans ma bibliothèque. Réputé comme le chef d’œuvre de Moorcock, il est également fameux pour être assez difficile d'approche. Et je confirme : il faut s'accrocher. Du moins au début, jusqu'à ce que la magie opère.

Mother London, c'est l'histoire de Londres et de ses habitants. Trois d'entre eux sont au cœur du récit : Josef Kiss, acteur particulièrement excentrique, David Mummery, écrivain traumatisé par le Blitz, et Mary Gasalee, sortie d'un très long coma sans avoir pris une ride. Ce qui unit ces trois personnages, ce sont leurs dons de télépathie. Ils sont capables de lire dans les pensées des gens. Uniquement à Londres, ce qui les lie particulièrement à la cité. Un tel don n'est pas facile à porter, ce sont des habitués des cliniques de repos, et de bonnes doses de médicaments leurs rendent la vie plus facile (enfin pas toujours). Voilà plus ou moins la base du roman. Le reste est semblable à une vaste mosaïque dont chaque chapitre est un fragment qui nous est livré de manière non chronologique. On passe ainsi de 1957 à 1963, ou encore de 1985 à 1980. Étrangement, cela n'altère pas la compréhension générale du roman, même si cette compréhension ne se fait pas toujours selon un ordre logique. Sont parfois évoqués des événements passés qui nous seront détaillés dans un chapitre à venir. En revanche, ce qui est plus perturbant, c'est l'absence de trame globale. Et non, pas d'histoire linéaire, simplement des fragments de vie qui certes se recoupent, mais c'est franchement perturbant au début. Pendant les 100 ou 150 premières pages, on se demande ce que l'auteur veut bien vouloir raconter à travers cette succession de scènes bizarre qui ne semble mener nulle part. Et puis, si l'on s'accroche, la magie commence petit à petit à opérer. On se prend d'affection pour ces personnages décalés et un peu perdus, on prend plaisir à les suivre dans des rues brumeuses et des pubs encore plus brumeux. Bref, on s'immerge dans le Londres de Moorcock.

Alors certes, comme le récit est long et très hétérogène, certains passages sont moins intéressants que d'autres. Par exemple, les divagations oniriques de Mary Gasalee ne m'ont pas franchement emballées. Par contre, les aventures exubérantes de Josef Kiss, les nombreuses descriptions du Blitz (qui prend une très grande place dans le livre) ou encore cet épisode sur les émeutes, celui sur les délires enfantins de David Mummery, sans compter les personnages secondaires charismatiques ... Un petit régal. Et de plus, la frontière entre hallucination, mythe et réalité est très ténue. Mother London est un roman déstabilisant, bizarre, décalé, qui si on s'accroche un peu, à beaucoup à offrir. Faudra que j'aille refaire un tour à Londres moi un de ces jours ...

679 pages, 1988, Folio SF

Les avis du Cafard Cosmique, de Nébal, Efelle, Imrryran

mercredi 28 août 2013

L'Ève future - Villiers de L'Isle-Adam


L'Ève future - Villiers de L'Isle-Adam

 L'Ève future date tout de même de 1886, et cela en fait mine de rien une œuvre fondatrice de la science fiction. L'illustration de couverture est tirée de Metropolis, et ce n'est pas un hasard, puisque Villiers de L'Isle-Adam décrit dans son roman la création d'une femme artificielle, une "andréide".

Tout d'abord, il est surprenant de constater que dans la forme, L'Ève future prend presque la forme d'une pièce de théâtre. A part vers la fin, l'action se déroule principalement au même endroit et sur une période de temps très courte. Enfin, quand je parle d'action, il faut relativiser, puisque la quasi intégralité du récit est constituée d'un dialogue entre Edison, créateur de génie, et le jeune Lord Ewald, au bord du suicide à cause d'un amour raté. Il faut donc espérer qu'ils se racontent des choses intéressantes, mais malheureusement, c'est loin d’être toujours le cas. L'ensemble est extrêmement riche en références, ce qui a tendance à être assez lourd au bout d'un moment, et les idées échangées entre les personnages ne sont pas d'un intérêt constant, notamment en ce qui concerne la vision de la femme. En gros, il y a deux types de femmes : l'épouse modèle, et la vile prédatrice qui, à l'aide de son maquillage et de ses mauvais instincts, pousse à la perte tant d'hommes innocents. Villiers de L'Isle-Adam passe des dizaines de pages à évoquer ce problème, puisque c'est pour cette raison que Edison crée son andréide : après tout, si la femme n'est que mensonge et si l'homme ne l'aime que pour son physique, pourquoi ne pas créer une femme-objet plastiquement parfaite, et dotée d'un simulacre d'esprit correspondant à ce qu'en attend un homme ? En effet, l'andréide est simplement un objet qui imite la femme, car elle est entièrement mécanique. Pas encore de concept d'intelligence artificielle. Chaque phrase qu'elle déclame a du être enregistrée avant sa création. Et on a droit pendant des pages et des pages à la description du fonctionnement mécanique de l'andréide, ce qui est vraiment usant, car c'est plutôt n'importe quoi. D'autant plus que vers la fin tout devient encore plus flou avec l'ajout d'une dose de surnaturel.

Pour l'instant, je ne dresse pas un portrait très flatteur de L'Ève future, et pour cause, le roman est assez pénible à lire. Malgré tout, on trouve parfois au détour d'une page une réflexion très intéressante sur la nature de l’artificiel, de l'illusion et du réel. Et l’intérêt historique est bien là, car si bon nombre des concepts développés par Villiers de L'Isle-Adam sont périmés, une fois replacés dans leur contexte, ils prennent une autre dimension. Sans oublier le caractère fondateur de ce roman. Bref, mieux vaut ne pas s'attaquer à L'Ève future en espérant un vif plaisir de lecture, mais plutôt en envisagent le coté culturel et historique de l’œuvre.

310 pages, 1886, GF-Flammarion
Pour de la SF de la même époque, à mon gout bien plus intéressante, voir le génial Flatland.

L'avis de Nébal

vendredi 9 août 2013

Virus - John Brunner


Virus - John Brunner

Le titre français de ce roman est trompeur. En voyant le simple mot Virus, le lecteur peut s'attendre à se trouver face à un roman catastrophe dans lequel l'humanité lutte contre une maladie mortelle. Et bien ce n'est pas du tout ça. L'illustration de couverture est un indice : le virus en question est d'une nature bien différente de ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Ce virus, le V.C., a pour principal symptôme de rendre ... intelligent. Ou, pour dire les choses plus en détail, il permet à l'esprit humain de se souvenir de tout ce qu'il a déjà rencontré et de mettre toutes ces informations en corrélation, ce qui a pour conséquence d'offrir à chaque personne "contaminée" des niveaux de conscience et de compréhension du monde extrêmement élevés.

Et ce ne sera pas du luxe pour aider une humanité qui semble aller droit dans le mur, un mur nommé troisième guerre mondiale. Je ne vais pas résumer la situation politique décrite dans le roman, mais John Brunner est vraiment doué pour impliquer le lecteur dans son univers. Ceux qui ont lu sa célèbre quadrilogie d’anticipation (Tous à Zanzibar, L'orbite déchiquetée, Le troupeau aveugle et Sur l'onde de choc) ne seront pas dépaysés. Le futur est proche, le futur est noir. La technique d'écriture de Brunner consistant à multiplier les personnages et les points de vue différents fonctionne à merveille, on est vraiment plongé dans sa vision du futur, et surtout, l'ensemble semble profondément crédible.

Le virus en question, le V.C., s'échappe (ou plutôt se fait échapper) d'un laboratoire, et va contaminer quelques personnes bien différentes. Ces personnages sont désormais unis par leur nouvelle vision du monde, et si certains sont confortés dans leurs opinions et trouvent là l'occasion de les approfondir, d'autres s'aperçoivent qu'ils faisaient n'importe quoi et prennent conscience des conséquences de leurs actes. Grâce à leur capacité commune à mettre en corrélation toutes les bribes d'informations qui leur parviennent, l’imminence de la troisième guerre mondiale ne leur échappe pas. La solution pour l’empêcher ? Contaminer la planète entière avec le V.C. ! Et là, le roman est vraiment jouissif. C'est optimiste (quoi que, considérer que l'humanité a besoin d'une intelligence qu'elle ne possède pas à la base pour s'en sortir, c'est moyennement optimiste), et certaines scènes sont un régal. Ce moment où deux patrouilles d'armées ennemies ne parlant pas la même langue fraternisent, arrivent tant bien que mal à communiquer, à rigoler ensemble et à remettre en cause l'ordre établi, ou encore ce tyran fasciste prenant conscience de la véritable absurdité qu'est la guerre et proposant un plan de répartition égale des richesses, et bien c'est juste beau. Cela aurait pu être ridicule, mais John Brunner écrit bien, sait présenter les choses de façon crédible sans jamais se prendre trop au sérieux.

Virus n'a l'air de rien, mais en plus d’être un très bon roman d'anticipation, c'est le genre de livre qui fait plaisir, dont on sort heureux.

222 pages, 1973, Presses de la cité

dimanche 28 juillet 2013

Un cantique pour Leibowitz - Walter Miller Jr.


Un cantique pour Leibowitz - Walter Miller Jr.

Leibowitz est un ancien ingénieur qui a survécu à l'anéantissement de la civilisation par le feu nucléaire. Alors que dans les cendres radioactives la majorité des survivants se livrent à la Simplification, l'extermination de tous les intellectuels et hommes de science, accusés (non sans raison ?) d’être responsables de la catastrophe, Leibowitz va fonder un ordre monastique qui aura pour objectif d'accumuler et de conserver le savoir de l'ancienne civilisation. Pour pouvoir planter les graines de la connaissance quand les hommes seront de nouveau prêts à les recevoir. Ainsi, pendant des centaines et des centaines d'années, les moines conservent et recopient des fragments d'une connaissance qu'ils ne comprennent pas. Ils attendent.

L'histoire de Leibowitz nous est transmise à travers son monastère, car c'est lui le véritable héros du livre. La première partie se déroule 600 ans après l'apocalypse, et dans un monde retraversant un moyen age cette fois peuplé de mutants, frère Francis découvre des documents originaux de la main de Leibowitz lui-même. Encore 600 ans plus tard, des empires se sont formés, et par conséquent la guerre à grande échelle est de retour. Parallèlement, les hommes de science apparaissent, et commencent à s'intéresser au savoir préservé dans l’abbaye de Leibowitz. Mais qui nous dit que ce savoir, mis au service des puissants, ne servira pas à répéter les erreurs du passé ? Dans la dernière partie, à nouveau 600 ans après, la nouvelle civilisation a dépassé technologiquement celle qui repose en cendres. Mais le monde n'est pas pour autant uni dans un but commun, et le feu nucléaire ne sert pas qu'à produire de l'énergie ...

La force du roman, qui saute rapidement aux yeux, c'est sa capacité à transporter le lecteur sur une échelle de temps considérable, en parlant d'un sujet relativement complexe (la lente reconstruction de la civilisation), le tout avec une aisance et une clarté remarquable. Et quasiment sans s'éloigner de l’abbaye. On s'en doute, comme la majorité des personnages sont les moines et les abbés successifs occupants le monastère, la religion tient une place capitale dans le roman. Le sujet est en effet envahissant, mais dans le bon sens du terme. A part quelques passages comportant un peu trop de phrases en latin (sauf pour ceux qui savent le lire, bien sur), la façon dont le roman aborde la théologie est très convaincante. Tout d'abord, dans Un cantique pour Leibowitz, rien n'est jamais trop pris au sérieux, il y a toujours une bonne dose d'humour, et un ton relativement détaché, qui nous rappelle à l'aide de l'échelle de temps considérable que les charognards seront toujours là pour ronger les cadavres de l'humanité. De plus, les opinions contraires ne manquent pas, et suscitent des débats passionnants, que ce soit avec un savant se soumettant à un tyran dans l’intérêt de la science ou à un médecin conseillant l'euthanasie à des victimes agonisantes. Quelques personnages extravagants contribuent eux aussi à donner au roman ce charme si spécial, comme ce vagabond se faisant passer pour (ou étant réellement) le Lazare de la bible ou encore ce poète bouffon à l’œil de verre amovible.

Un cantique pour Leibowitz m'a laissé une profonde impression d'originalité. Un récit de la destruction nucléaire de l'humanité par elle-même, puis d'une reconstruction pas plus glorieuse, le tout du point de vue d'un monastère et de ses occupants sur plus de 1000 ans ... Je n'ai pas le sentiment d'avoir déjà lu quelque chose de ce genre. Ce qui vient conforter cette impression, c'est le ton très particulier du roman : juste et humain, à la fois grave et décalé, entre absurdité de la destinée humaine et foi religieuse. Un grand roman, riche en concepts et en idées, et assez unique en son genre.

450 pages, 1960, Folio SF

Les avis de Nébal, le Cafard Cosmique, Scifi Universe, Unwalker ...

mardi 23 juillet 2013

Forteresse - George Panchard


Forteresse - George Panchard

J'ai stoppé ma lecture de Forteresse à la page 135. Pourtant, la plupart du temps, je termine les livres que je commence, et les rares fois où ce n'est pas le cas, je n'en parle pas ici. Mais Forteresse est un cas intéressant.

Le roman de George Panchard peut sans doute être qualifié de techno-thriller. Dans un futur proche (2039), Clayborne est le chef de la sécurité de Mannering, personnage à la tête de l'une des plus puissantes corporations de la planète. Un complot de grande envergure visant à assassiner Mannering se prépare. Chaque chapitre se déroule à une date particulière, et de façon non linéaire, cela est parfois un peu perturbant quand on doit revenir en arrière pour vérifier les dates. A part ça, Forteresse me semble clairement un bon thriller, bien construit et assez complexe pour captiver le lecteur.

Bon, personnellement, les thrillers, ce n'est pas vraiment mon truc, mais ce qui m'a vraiment fait décrocher de Forteresse, c'est ... disons l'univers et le ton idéologique général. Commençons par l’univers. Le futur des USA ? Prenez les deux plus gros clichés sur les américains, ils sont gros et chrétiens, et voilà, en 2039, l'Amérique du nord est devenue une théocratie dans la quelle l'obésité est la norme. Même genre pour le japon, rempli de ninjas, samouraïs, cerisiers en fleurs et codes de l’honneur très stricts. Et l’Europe alors ? Et bien elle sort d'une guerre civile contre les musulmans. Tout ça par la faute de la gauche laxiste qui n'a pas su empêcher l'invasion des barbus et qui propose des lois du genre "tout immigré commettant un crime sur le territoire national devait bénéficier d'une peine réduite du seul fait de son déracinement culturel". Heureusement que les gentils policiers et  militaires ont sauvé l'Europe en formant des milices. Si le cas des USA est juste un gros cliché (la bière "Holy Cross light", sérieusement ...), celui de l'Europe est plus intéressant, car vraiment politiquement incorrect (Gromovar en parle mieux que je ne pourrai le faire). Intéressant, mais le tout est tellement appuyé que c'en est franchement lourd ("Trente ans et plus de capitulation, de lâcheté, de candeur suicidaire avaient fait le lit des barbus et conduit à la guerre" ou encore "Bien plus qu'un dirigeant d'entreprise, c'était un scientifique extrêmement brillant (...) même s'il était confit dans sa vertu sociale démocrate. Génial et un peu con."). De plus, le personnage principal est un agent de sécurité qui ne vit que pour protéger son chef (au début du roman, par la suite je n'en sais rien), et franchement, pas moyen de le trouver un poil intéressant.

Alors, la question se pose : suis-je un lecteur à l'esprit fermé qui ne recherche dans les livres que des idées consensuelles proches des siennes ? Je préfère garder l'espoir que ce ne n'est pas le cas. Mais de la même façon que je ne pourrai pas être ami avec une personne intelligente aux opinions très éloignées des miennes, les pages de Forteresse m'ont rapidement semblé bien lourdes à tourner, d'autant plus que ses idées (ou les idées des personnages), le roman les jette au visage du lecteur, de façon permanente et souvent tout sauf subtile (voir les clichés sur l'Amérique et les citations plus haut). Peut-être que je n'ai pas su prendre le recul nécessaire.

Ou alors c'était juste une mauvaise idée de me lancer dans Forteresse en sortant de l'utopie anarchiste de Iain M. Banks. Le choc aura été trop dur.

506 pages, 2005, Le livre de poche

Les avis probablement plus pertinents de ceux qui ont lu le livre en entier : Anudar, Gromovar, Xapur, Lorhkan, Bifrost ...